04-2 - Fumel - la SMMP
Des Républicains espagnols à la SMMP de Fumel
Table des Matières :
L’usine de Fumel avant 1940Les Espagnols dans le département de Lot-et-Garonne et à la SMMP
Les Espagnols de retour à l’usine
Le GTE 505 à Fumel
De la solidarité communautaire à l’action politique
Du 6 au 10 juillet 1942, débute à Fumel une vague d’arrestations qui s’étend sur neuf départements voisins
Les arrestations de l’automne 1942
Deux militants de la « UNE » dans le Fumélois
Les condamnations
Le calvaire de Patricio Moron Rueda
La « UNE » en France occupée
L’usine de Fumel avant 1940
Au milieu du XIXe siècle, la région fuméloise présente quelques particularités notables. Elle est l’héritière d’une longue tradition métallurgique et artisanale présentes dans la vallée de la Lémance depuis le Moyen Âge.
La révolution des transports par fer débute au cours de la Monarchie de Juillet. Dans notre région, elle est à l’origine d’un projet de création d’une ligne de chemin de fer entre Bordeaux, Toulouse et Marseille. Il est mis sur pied en 1846 et agrège autour de lui les appétits féroces des investisseurs les plus divers et parfois sans scrupules. Le besoin en milliers de tonnes de rails en fonte les amène à prospecter toutes les ressources possibles en minerai de fer, charbon et calcaire pour mener à bien la mise en service des lignes Bordeaux-Agen (1856), Agen-Périgueux (1863), Agen-Auch (1865) et Monsempron-Libos-Cahors (1869).
Le village de Fumel répond aux attentes puisqu’il est idéalement situé sur la rivière Lot. L’eau servira au refroidissement et à l’évacuation des scories des futurs hauts fourneaux. En outre, cet axe fluvial relie le port de Bordeaux au cœur du Massif-Central grâce à la navigation des gabarres. Par ce biais, le coke issu du charbon des mines aveyronnaises remplacera avantageusement le traditionnel charbon de bois tiré des forêts avoisinantes. La présence de minerai de fer en grande quantité, sous forme de nodules présents sur son sol et dans son sous-sol sur un rayon de 20 kilomètres, ajoutée à celle des carrières de calcaire pour l’obtention de la castine sont deux autres facteurs majeurs.
La Société Benoist d’Azy, Drouillard, Léon Valès et Compagnie est fondée en 1847. Elle s’implante au lieu-dit « Métairie-Basse », sur un terrain de 10 hectares, acheté à un Fumélois, le baron de Langsdorff. Elle exploite le minerai de fer local dans deux hauts fourneaux pour élaborer quotidiennement quarante tonnes de fonte grise transformées en matériel ferroviaire.
Les appétits des financiers et des politiques du Second Empire dépassent largement les intérêts locaux. L’entreprise est rachetée par « Grand Central » en 1854. Cette société ambitionne d’équiper en voies ferrées la zone au Sud d’une ligne allant de Lyon à Bordeaux et jusqu’aux Pyrénées. A la suite des guerres financières menées par le Duc de Morny, la chute de « Grand Central », en 1856, remet l’usine de Fumel entre les mains de la « Compagnie des Chemins de Fer Paris Orléans » (PO), son client principal. Mais le traité de libre-échange signé entre la France et l’Angleterre provoque l’effondrement des ventes et l’arrêt des hauts fourneaux en 1860. Reprise en 1864 par la « Société de la Vienne », elle passe sous le contrôle, en 1874, de la « Société Métallurgique du Périgord » (SMP), créée spécialement pour reprendre les activités des fonderies de Fumel, de Duravel et de l’usine de Bacalan à Bordeaux. La SMP réoriente la production en procédant à d’importants investissements. En 1903, elle emploie 1 200 personnes, et sous l’impulsion d’Auguste Barthe, elle fabrique des tuyaux pour l’adduction d’eau ainsi que diverses pièces destinées au mobilier urbain.
La 1re Guerre Mondiale modifie sensiblement la nature des produits fabriqués. Les obus pour l’artillerie remplacent les fabrications classiques. Le recours à la main-d’œuvre féminine et étrangère permet de faire face au départ des appelés sous les drapeaux.
Les effectifs atteignent environ 3 000 personnes pendant cette période. La perte de la production d’obus et le changement technologique dans le mode de fixation des rails sur les traverses dans les années 1920 met l’usine en difficulté. En 1928, la « Société des Fonderies de Pont-à-Mousson » (PAM), premier fabricant français de tuyaux, devient l’actionnaire majoritaire de la SMP, le deuxième producteur de ce type de produit. A partir de 1933, PAM intègre dans la SMP diverses sociétés minières et métallurgiques du Massif-Central et des Pyrénées. En même temps, PAM investit dans la modernisation de l’outil de production et lance la construction d’un barrage hydro-électrique sur le Lot, achevé quelques semaines après la libération, en 1944.
Les Espagnols dans le département de Lot-et-Garonne et à la SMMP
La présence des Espagnols dans le Sud-Ouest de la France remonte au début du XIXe siècle. Au cours de la dizaine d’années qui suit le départ des troupes de Joseph Bonaparte, les « afrancesados » quittent l’Espagne pour échapper au pouvoir absolutiste imposé par la restauration des Bourbons. Le plus célèbre d’entre eux, le peintre Francisco de Goya arrive à Bordeaux en 1823 où il y meurt en 1828. Les guerres carlistes de 1833 à 1846 provoquent une nouvelle vague d’immigration espagnole. Ensuite, la révolution industrielle de la deuxième moitié du XIXe siècle est aussi à l’origine d’une immigration économique espagnole dans la région et le Fumélois. La 1re Guerre Mondiale attire une 3e vague de main-d’œuvre espagnole.
Avec la Retirada, la présence des réfugiés espagnols dans le Lot-et-Garonne est relativement modeste. Elle se compose d’environ 3 000 personnes, toutes classes d’âge confondues. Outre leur présence attestée dans l’Agenais, le Lavardacais, et le Villeneuvois, Fumel compte la plus forte communauté masculine d’exilés espagnols. Au cours de la « Drôle de Guerre », plus précisément, de novembre 1939 à juillet 1940, plus de 450 Républicains espagnols sont « recrutés » par la SMP dans le camp de concentration de Septfonds (Tarn-et-Garonne). Ils sont intégrés dans une Compagnie de Travailleurs Etrangers (CTE). Ils compensent la perte de la main-d’œuvre locale, mobilisée sur la frontière de l’Est de la France. Leurs conditions de vie ne sont guère meilleures que celles qu’ils ont laissées au camp. A part les repas plus copieux, pris à la cantine de l’usine, Le reste n’est pas très enviable. Ils logent soit dans des wagons désaffectés posés sur pilotis, soit dans des magasins désaffectés, sorte de baraques en bois. Leur couchage est composé d’une simple paillasse et d’une couverture. Ils ont à leur disposition de grands bacs contenant de l’eau froide pour leur toilette matinale, à l’air libre. Ils sont répartis en deux équipes de travail, une de jour et l’autre de nuit.
A l’extérieur de l’usine, ils sont confinés dans un espace délimité par la rivière Lot au Sud et par une ligne partant de Libos, passant par la barrière SNCF de ce village et se terminant à la limite Est de Fumel, Condat exclu. Si un exilé espagnol est trouvé hors de cette zone, il est considéré comme un insoumis et un déserteur. Il est aussitôt expédié au camp disciplinaire du Vernet-d’Ariège. En tant que membre d’une CTE, un Républicain espagnol est assujetti au règlement militaire en vigueur pour les appelés français.
Pendant la « Drôle de Guerre », la production de la SMP est essentiellement destinée à l’artillerie française sous forme de tubes d’obus en fonte. Le 6 juillet 1944, après la signature de l’armistice entre Pétain et Hitler, la SMP demande aux Espagnols de repartir au camp de Septfonds.
Les Espagnols de retour à l’usine
Quand l’usine se remet à produire des tubes d’obus, cette fois-ci pour l’Allemagne et après que le gouvernement de Vichy transforme les anciennes CTE en Groupements de Travailleurs Etrangers (GTE), elle réintègre les Républicains espagnols. Ils reviennent de manière volontaire pour se faire embaucher directement par la SMMP (le 26 décembre 1940, PAM transforme la SMP en « Société Minière et Métallurgique du Périgord » (SMMP)) ou par des entreprises de sous-traitance.
Le GTE 505 à Fumel
Le GTE 505 est créé en novembre 1941, sa direction est installée dans les locaux de l’usine. Il sera fermé en juillet 1944 au moment de la libération du département de Lot-et-Garonne. Ses effectifs, fin 1941, s’élèvent à 805 personnes. Ils décroissent tout au long de son existence. En février 1942, 599 travailleurs étrangers sont encore inscrits sur les listes du GTE. Les Espagnols constituent le gros des troupes. En août 1942, sur 556 travailleurs recensés, 504 sont des Espagnols, le reste appartient à d’autres nationalités. En juin 1943, il y a encore 341 étrangers dont 325 Espagnols.
Tous ces étrangers ne travaillent pas pour la SMMP. Un petit nombre d’entre eux est employé dans une quarantaine d’établissements artisanaux, commerciaux ou agricoles. En ce qui concerne la SMMP, le préfet de Lot-et-Garonne reproche au directeur de l’usine de ne pas respecter les consignes en matière d’embauche, ce qui complique la surveillance policière. Cette situation favorise les évasions. Tout au long de la durée de vie du GTE, une centaine de travailleurs se fait la belle.
La vie quotidienne des étrangers à cette époque n’est pas très différente de celle qu’ils ont connue avec l’ancienne CTE. Sauf que leur nombre important sur le territoire provoque une crise aiguë du logement. Les baraques en bois et les wagons sont toujours occupés dans l’enceinte de l’usine mais ils ne sont pas suffisants. Certains ouvriers disposent d’un logement chez des particuliers, dans Fumel ou les environs. Leurs déplacements ne sont plus limités géographiquement, mais ils continuent d’être surveillés de très près et fichés. La suspicion de la part des autorités et d’une partie de la population est leur lot quotidien. Pour les contrôler, les Renseignements Généraux disposent d’une antenne fuméloise. Il en va de même pour la police spéciale de Pétain ainsi que pour la Gestapo qui est installée dans un immeuble, aujourd’hui disparu, sur la place Gambetta à Fumel.
De la solidarité communautaire à l’action politique
Rien d’étonnant à ce que les Espagnols, empreints des idéaux de leur République perdue, mettent en place un outil assurant la solidarité. Dès l’été 1940, à Villeneuve-sur-Lot, ils créent un collectif d’entraide chargé de porter secours matériellement et moralement aux réfugiés espagnols en détresse profonde.
Très vite, le collectif va se trouver à la croisée des deux principaux courants de la Résistance française naissante : les gaullistes et les communistes. Dans la clandestinité, les Républicains espagnols apportent aux Français leur expérience des combats. Les affinités politiques favorisent les rapports entre les Espagnols et le Parti Communiste Français (PCF). Cette proximité est à l’origine des premiers maquis, comme celui de la Torgue, à Varès, à l’Est de Tonneins. Parmi ces maquisards on compte l’un des futurs membres de notre association : Jaime Olivés Cañada.
Dans l’esprit des réfugiés républicains, persiste l’idée qu’il ne faut pas abandonner le sort de l’Espagne aux franquistes. Les activités associatives qu’ils développent localement les conduisent à créer une organisation secrète dont l’objet est d’apporter leur aide à leurs frères restés en Espagne. Ils nomment cette structure « Union Nacional Española » (UNE). Initiée par des communistes espagnols, elle se propose de rassembler toutes les obédiences politiques hostiles à Franco. Si les autres partis politiques et syndicats en exil n’adhèrent pas au projet, leurs militants n’hésitent pas à rejoindre, en nombre mais à titre individuel, la UNE. En plus des communistes, on y trouve des anarchistes, des libertaires, des socialistes et de simples républicains. Le Lot-et-Garonne devient, en importance, le deuxième département français à œuvrer pour la UNE sous la direction de Cecilio Arregui Giménez, un Basque installé avec sa famille à Monflanquin. Arregui Giménez est un officier de l’armée républicaine espagnole et dirigeant du Parti Communiste Basque. En Lot-et-Garonne, il dirige le Parti Communiste Espagnol. La UNE recrute parmi les nombreux exilés espagnols de Fumel ainsi que parmi les immigrés économiques venus d’Espagne à la fin du XIXe et au début du XXe siècle. Certaines caves des logements espagnols de l’avenue de l’Usine deviennent des lieux de réunions clandestines très animées.
L’expansion de la UNE sur tout le territoire français est facilitée par la création préalable de cellules de base locales. C’est, à la fois, sa force et sa faiblesse. Car les appareils répressifs de Vichy, alliés de Franco, ne restent pas inactifs. Ils s’emploient à surveiller très étroitement et à retourner des membres de cette nébuleuse qui a besoin de visibilité pour attirer à elle toujours plus de sympathisants pour, le moment venu, créer et financer une force capable de repartir au combat en Espagne.
Du 6 au 10 juillet 1942, débute à Fumel une vague d’arrestations qui s’étend sur neuf départements voisins
Le 6 juillet 1942, de bonne heure, José Oncino Torres quitte Villeneuve-sur-Lot. Il doit parcourir une vingtaine de kilomètres pour rejoindre Fumel. Son seul moyen de locomotion est une bicyclette. Il pédale vigoureusement pour arriver à l’heure à son poste de travail où il est employé comme maçon. Malencontreusement, une crevaison arrête sa course. Il est obligé de continuer à pied tout en poussant son vélo. Avant de franchir la porte de son entreprise, il laisse sa bicyclette, pour réparation, au garage Troupel. L’apprenti, chargé de réparer la crevaison, cède à sa curiosité et fouille le contenu de la sacoche accrochée à la machine. Dans un tube métallique, il découvre des feuilles de papier. Ce sont des tracts rédigés manuellement et en espagnol. Le titre « Reconquista de España » barre le haut de la première page. L’employé donne ces documents à son patron qui les remet à la Gendarmerie de Fumel. La réaction de l’artisan peut s’expliquer par le fait qu’il a appris que dans la nuit des papillons ont été collés à Fumel, dans la rue du Barry et dans l’avenue de l’Usine. Ces affichettes tentent d’alerter la population fuméloise sur le risque encouru par les Espagnols de se voir expédiés en Allemagne. De manière prémonitoire, ils préviennent qu’après les Espagnols ce sera le tour des Français.
Au début de l’après-midi du 6 juillet, quatre gendarmes fumélois se rendent chez Troupel. Au même moment, un Espagnol, Agustin Perez Paez, est présent dans l’atelier. Interrogé et fouillé, les gendarmes ne découvrent rien de compromettant sur lui. Méfiants, ils décident de perquisitionner son logement. Au domicile d’Agustin, ils trouvent Antonio, son frère. Au cours de la perquisition, ils découvrent deux exemplaires de « Reconquista de España ». Agustin profite alors d’un moment d’inattention pour s’enfuir en direction de la rivière Lot. Poursuivi, il se jette à l’eau, traverse à la nage sous les coups de feu puis disparait dans la nature au niveau de la commune de Montayral.
L’opération impromptue menée par les gendarmes ne fait pas l’affaire d’un inspecteur de la police spéciale, installé à la mairie de Fumel. Depuis des mois, cet homme s’occupe de surveiller les agissements de divers Républicains espagnols du secteur. Un rapport qu’il remet aux Renseignement Généraux d’Agen, en date du 2 juillet 1942, tente de prouver que Fumel pourrait être une plaque tournante du commandement de la Résistance communiste espagnole. Il donne l’identité, sans avoir pu les localiser précisément, de 3 ou 4 personnages potentiellement impliqués dans le réseau.
Immédiatement averti par la brigade de Fumel, l’inspecteur comprend très vite que son travail d’investigation risque d’être ruiné par l’action des quatre gendarmes. Il décide d’aller arrêter Aquilino Asenjo Terreros sur son lieu de travail, à l’usine de Fumel. Selon l’inspecteur, Asenjo est le responsable fumélois de la cellule locale du PCE. En fin d’après-midi du 6 juillet, l'Espagnol est entre les mains de la police. Un tract appelant à ne pas aller travailler en Allemagne est découvert sur lui. Les interrogatoires « musclés » ne permettent pas d’obtenir plus de détails. Mais, une liste de noms découverte sur un carnet appartenant à Asenjo et des recoupements d’informations permettent aux services de procéder à l’arrestation de 23 Espagnols dans 9 communes du département. Au regard de ces arrestations, la police se convainc qu’à Fumel le fonctionnement de « Reconquista de España » est à l’initiative du PCE avec l’appui des anarchistes et de quelques républicains de gauche tels des socialistes.
Les personnes arrêtées appartiennent en majorité au GTE 505 de Fumel et au GTE 536 de Casseneuil. L’inspecteur de police spéciale met en évidence l’action politique clandestine en relation avec l’Espagne. Dans son rapport, il déclare qu’Aquilino Asenjo Terreros s’apprêtait à partir pour l’Espagne avec un autre de ses codétenus pour y poursuivre ses activités politiques.
Liste des 7 Espagnols arrêtés entre le 6 et le 8 juillet 1942 à Fumel
Arrestation |
Identité |
Lieu et date de naissance |
Domicile |
Emploi |
GTE |
06/07/1942 |
Alonso Criado Magin |
Tiedra, Valladolid, 10/09/1915 |
Fumel |
Manœuvre |
505 |
06/07/1942 |
Asenjo Terreros Aquilino |
Madrid, 01/08/1916 |
Fumel |
Ajusteur |
505 |
06/07/1942 |
Ferrero Miranda Tomas |
Zamora, 23/12/1919 |
Fumel |
Manœuvre |
505 |
06/07/1942 |
Martinez Mur Mario |
Saragosse. 11/03/1919 |
Fumel |
Manœuvre |
505 |
06/07/1942 |
Perez Paez Antonio |
Madrid, 22/05/1916 |
Fumel |
Maçon |
505 |
10/07/194 |
De la Casa Hidalgo Santiago |
Madrid. 26 juillet 1913 |
Fumel |
Manœuvre |
505 |
06/07/1942 |
Martinez Marin Juan |
Jumilla, Murcia, 08/05/1909 |
Libos |
Manœuvre |
505 |
Les infractions retenues établissent que ces Espagnols se livraient à la diffusion de « tracts d’inspiration étrangère d’origine communiste ». La police déclare avoir démantelé un comité local dénommé « Reconquista de España ». Effectivement, le but avoué par les inculpés est le rassemblement des réfugiés républicains espagnols autour d’un projet de rétablissement de la République en Espagne. Toujours d’après la police, l’instigateur de cette organisation serait le docteur Juan Negrin, réfugié à Londres et chef du gouvernement de la République espagnole en exil.
Les arrestations de l’automne 1942
L’inspecteur des Renseignements Généraux dans le fumélois reste persuadé que les arrestations de juillet n’épuisent pas la possibilité de découvrir d’autres complicités espagnoles. Dès le mois d’août 1942, il signale au tribunal judiciaire de Toulouse la poursuite d’activités subversives dans le Villeneuvois et le Fumélois.
A la suite des enquêtes de terrain diligentées à partir du 25 octobre 1942 par le tribunal toulousain, 14 arrestations sont effectuées entre le 6 et le 10 novembre 1942 à Casteljaloux, Marmande, Monflanquin, Villeneuve-sur-Lot, et 6 dans le secteur de Fumel et ses environs.
Liste des 6 Espagnols arrêtés entre le 6 et le 10 novembre 1942 à Fumel
Identité |
Date de l’arrestation |
Localité |
Date de naissance |
Lieu de naissance |
GTE |
Plaza Fernandez Antonio |
07/11/1942 |
Fumel |
15/04/1916 |
Madrid |
505 |
Villela Lopez Narciso |
07/11/1942 |
Fumel |
29/10/1904 |
Alquerias, Murcia |
505 |
Sra Castro Feito Nieves |
08/11/1942 |
Fumel |
06/04/1918 |
Oviedo |
|
Sra Moja Molina |
08/11/1942 |
Trentels |
14/05/1918 |
Saragosse |
|
Moron Rueda Patricio |
08/11/1942 |
Fumel |
17/03/1891 |
Orihuela del Tremedal, Teruel |
|
Marttn Alexandro Maximo |
10/11/1942 |
Saint-Vite |
04/09/1913 |
Madrid |
505 |
Deux militants de la « UNE » dans le Fumélois
Aquilino Asenjo Terreros
Asenjo Terreros est bien plus qu’un responsable local. Il est l’un des dirigeants du PCE pour le Lot-et-Garonne et un des responsables lot-et-garonnais de la « UNE ». Condamné à dix ans de travaux forcés, il est emprisonné en décembre 1942 à Nontron, en Dordogne. Le 1er mai 1944, une attaque de la prison par les FTP-F lui rend la liberté. Il rejoint aussitôt les Guérilleros espagnols dans le maquis « Carlos » du Catalan Carles Enric Ordeig puis il part dans le Gers où il crée un maquis espagnol. Après avoir combattu l’occupant nazi, il participe le 26 août 1944 au défilé de la victoire à Agen avec le grade de capitaine.
Une fois la libération du Sud-Ouest de la France achevée, Asenjo part pour Toulouse afin de se joindre à l’opération militaire en préparation et dont il rêve depuis si longtemps : la « Reconquista de España ». La stratégie élaborée par la « UNE » consiste à profiter de l’isolement géographique du Val d’Aran par rapport au reste de l’Espagne. La barrière formée par les Pyrénées doit permettre d’établir un gouvernement provisoire, et de tenir jusqu’à l’arrivée des Alliés, ce qui devrait entraîner la chute du régime Franquiste.
Asenjo passe la frontière espagnole le 30 septembre 1944. Le 19 octobre, 4 à 7 000 guérilleros sous la direction du lieutenant-colonel FFI Vicente López Tovar, envahissent le Val d’Aran. Les Alliés tant attendus ne leur accordent aucune assistance, car la victoire sur les forces de l’Axe n’est pas encore acquise. Le soulèvement de la population n’a pas lieu. Sans soutien et sans armement lourd, les guérilleros sont trop peu nombreux pour faire face aux forces franquistes dépêchées très rapidement. Certaine de subir un cuisant échec, la direction communiste prend la décision de battre en retraite le 27 octobre 1944.
Asenjo est capturé le 27 novembre de la même année. Condamné à 30 ans de prison, il est remis en liberté conditionnelle en 1959. Il réussit à échapper à la surveillance des franquistes et revient en France pour s’établir dans la région lyonnaise où il décède en 1998.
Nieves Castro Feito
Nieves Castro Feito est née à Oviedo en 1918. Comme toutes les filles de la classe moyenne, elle est scolarisée dans une institution religieuse jusqu’à l’âge de 12 ans. Les sœurs prennent soin de lui inculquer la haine des anarchistes. Elles lui apprennent que ce sont des criminels puisqu’ils ont assassiné Alexandre III, le « Tzar de Toutes les Russies ». Or, en 1930, une véritable déflagration bouleverse sa vie d’adolescente : elle apprend que José Maria, son frère aîné, alors âgé de 16 ans, vient d’être arrêté à Valladolid pour activité anarchiste en compagnie d’autres camarades. Cette nouvelle fait l’effet d’une bombe dans la famille de Nieves : des anarchistes, des criminels selon les religieuses, tentent de renverser la monarchie espagnole. Elle finit par apprendre de la bouche de son frère adoré qu’il est en réalité un communiste encarté aux Jeunesses Communistes. Cette période est pour lui une interminable succession d’arrestations et de clandestinité. Nieves essaie, avec ses faibles moyens, d’apporter réconfort et aide à ce frère incompris de leur mère, horrifiée par sa conduite contraire aux valeurs catholiques.
La révolte des mineurs asturiens d’octobre 1934 constitue un nouveau choc traumatique pour Nieves. Son cousin Agustin âgé de 23 ans, dirigeant des Jeunesses Communistes du bassin minier de Sama de Langreo, est enterré vivant dans les collines de Carbayin, en compagnie de 23 autres jeunes, par les militaires venus spécialement du Maroc espagnol. A la suite de cet événement, elle fait le constat qu’il n’est plus possible de laisser dans la misère la plus grande partie du peuple espagnol. Elle se convertit au romantisme révolutionnaire en lisant la biographie de Lénine.
Le triomphe de la gauche aux élections de février 1936 et la mise en œuvre du programme du Frente Popular entraînent un enthousiasme vite réprimé par les forces réactionnaires après la tentative de coup d’Etat de juillet 1936 et de la guerre civile qui suit.
Le 18 juillet 1936, le frère de Nieves essaie de s’opposer au coup d’état. Avec ses camarades, il entre dans la cour de la caserne de la Garde d’Assaut d’Oviedo pour réclamer des armes. En guise d’armes, il reçoit quatre balles qui criblent son corps. Blessé, il est hospitalisé puis fusillé avec 17 camarades le 23 décembre 1936 après être passé en conseil de guerre.
Avec la prise de contrôle de la ville d’Oviedo par les phalangistes, c’est le début des meurtres de masse, des privations de liberté, de nourriture... Les Républicains qui n’ont pas réussi à quitter la ville sont pourchassés et arrêtés pour être fusillés. Ces épreuves renforcent les convictions politiques de la jeune fille. Le 10 août 1936, elle décide de rompre avec sa vie petite bourgeoise et quitte sa famille pour rejoindre les rangs des miliciens républicains.
Les revers subis par les troupes républicaines, sous la pression des franquistes arrivés de Galice, font échoir Nieves à Gijón. Elle est chargée de tâches administratives et assiste aux cours de sciences politiques dispensés à l’attention de la jeunesse.
Les munitions commencent à manquer. Les bombardements de l’aviation allemande sont incessants. Nieves participe à l’accueil des réfugiés basques et cantabres qui affluent en masse suivis des milices républicaines qui ont perdu pied face aux assauts des fascistes venant de Navarre et de Castille. Les difficultés pour nourrir cette foule sont innombrables.
Acculés le long de la côte de la mer cantabrique, les républicains doivent évacuer d’urgence les civils puis les militaires. Le 20 octobre 1937, les premiers peuvent embarquer sur des bateaux ancrés dans les ports de Gijón et d’Avilés. Il ne reste pour les seconds que quelques cargos et des bateaux de pêche. Nombreux sont ceux qui sont capturés par les fascistes ou qui périssent noyés. Faute de place, beaucoup restent sur les quais à la merci des phalangistes. Sans solution de fuite par le port de Gijón, Nieves réussit à rejoindre celui d’Avilés. Tous les bateaux ont pris la mer. Nieves et ses 4 compagnons de fuite trouvent un minuscule bateau de pêche dans un petit port voisin et en fin d’après-midi du 21 octobre 1937, ils quittent les Asturies. La coquille de noix emporte 135 personnes sous les cris désespérés de ceux qui sont abandonnés sur le quai.
Arrivé en haute mer, le bateau se met à tanguer sous l’effet d’une forte houle et du poids excessif de l’embarcation. Les passagers sont obligés d’écoper pour éviter le chavirage. La tension est extrême. Deux passagers cèdent à la panique, l’un devient fou et l’autre se jette à l’eau. Sans nourriture, à court de combustible, sous le coup d’une erreur de navigation suivie d’une tentative de mutinerie, l’embarcation arrive, trois jours plus tard, au port vendéen de Saint-Gilles-Croix-de-Vie.
Si le gouvernement français du Front Populaire, soumis à la politique britannique de non-intervention dans le conflit espagnol, refuse la présence sur son sol de militaires républicains espagnols en armes, il n’en va pas de même pour la population locale. Elle leur offre 5 jours de repos avant de prendre le train pour Barcelone.
Arrivée à Barcelone, Nieves trouve un emploi au ministère de l’Instruction Publique puis dans d’autres administrations. Elle note une grande différence entre le mode de vie de Gijón où tout était compliqué à obtenir et celui de la capitale catalane où tout semble facile.
5 mois plus tard, elle épouse un camarade qui l’a accompagnée lors de l’odyssée depuis les Asturies jusqu’à Barcelone. La guerre commence à faire sentir ses effets. Les pois chiches noirs et les lentilles deviennent le lot habituel.
Chaque fois qu'un bombardement aérien se produit, Nieves cherche refuge dans le métro. Le bruit des sirènes et les nuits sans sommeil font maintenant partie de son quotidien. Le 18 mars 1938, elle échappe par miracle aux bombes lâchées par les avions italiens. Tout n’est plus que désolation près de l’hôtel Colon où se trouvent les locaux où elle travaille. Les cadavres démembrés jonchent le sol, les bâtiments sont détruits ou soufflés.
Après la chute de Barcelone, sur la route de l’exil, elle se retrouve sous les bombardements de l’aviation allemande à Figueras avant de passer la frontière française à Port-Bou le 8 février 1939. Elle fait partie d’une foule de milliers de femmes, d’enfants et de vieillards tous affamés et frigorifiés. Les femmes et les enfants montent à bord de trains surchargés. Le voyage en direction d’Epinal dure deux jours dans des wagons dont les issues sont fermées à clef.
Enceinte, Nieves est consignée dans une « maternité » dirigée par une gynécologue qu’elle compare à une nazie tant elle manque d’empathie. L’inimitié de cette femme à l’égard de Nieves est telle que cette dernière est privée de repas pendant 9 jours alors qu’elle est dans son 7e mois de grossesse. 2 jours avant la fin de sa peine, Nieves est conduite dans un centre d’accueil réservé aux Espagnoles près d’Epinal. Sa réputation de rebelle la fait considérer par les autorités françaises comme un danger pour la sécurité publique. Elle est accusée de développer des germes rouges très contaminants.
Malheureusement, ce centre est brutalement fermé par ordre préfectoral et les femmes enceintes doivent être dirigées vers la fameuse maternité honnie par Nieves. Par chance, les responsables du centre, au courant des mauvais traitements reçus, réussissent à envoyer Nieves à Saint-Dié. Elle conserve de ce lieu un très bon souvenir, en particulier celui d’habitants très attentionnés à son égard. Le 19 août 1939, elle donne naissance à sa première fille, Marina.
Nieves est encore dans la maternité lorsque la France déclare la guerre à l’Allemagne. A sa sortie, elle est emmenée au camp disciplinaire de Bruyères. C’est une ancienne caserne insalubre. Comme elle est la dernière arrivée et qu’il n’y a plus de place, elle doit se contenter de l’étable où elle peut s’allonger sur un peu de paille avec son bébé.
C’est dans ce camp qu’elle apprend l’interdiction du Parti Communiste Français à cause de la signature d’un pacte entre Hitler et Staline. Elle apprend aussi que l’armée française va récupérer le camp et que par conséquent les internées vont devoir repartir vers le Sud de la France. Les autorités françaises leur proposent deux solutions : aller dans un camp de concentration comme celui d’Argelès-sur-Mer ou rentrer en Espagne. Nieves milite auprès de ses codétenues pour rester en France.
Embarquées dans un train, elles arrivent à la gare de Perpignan mais le convoi ne s’arrête pas. A petite vitesse, il continue vers la frontière espagnole. Les passagères se ruent sur les portières, fermées à clef, et sur les fenêtres en criant : « On ne veut pas aller en Espagne ! Avec Franco Non ! Au camp ! ». Nieves réussit à s’extraire du train et au moment de récupérer son bébé, le convoi redémarre brusquement. Les cris et les lamentations de toutes les mères qui sont dans la même situation que Nieves obligent le train à s’arrêter. A cet instant, elle comprend la douleur endurée par les femmes quand leurs enfants se sont perdus au cours de la Retirada.
Sur le quai de la gare, des agents espagnols leur proposent de nouveau le même choix : la sécurité en Espagne ou les frimas de l’hiver sur les sables d’Argelès-sur-Mer. Tout le convoi, sauf deux sœurs souffrantes, choisit les assauts de la Tramontane.
Après une semaine passée à la belle étoile et à même le sable du camp n° 8, Nieves et sa fille trouvent refuge dans une baraque Adrian du camp n° 9. L’absence d’eau chaude pour baigner sa fille, pousse Nieves et une de ses amies à fabriquer un brasero avec de la tôle ondulée de récupération. La nuit venue, elles volent du charbon et le font brûler dans leur poêle improvisé. Ce qui leur permet de chauffer la baraque, d’avoir de l’eau chaude et de préparer une soupe avec cette eau, un peu de pain et du suif normalement destiné à l’éclairage. Le chef du camp n’a de cesse de jeter à bas le poêle et de les menacer de renvoi en Espagne. Rien n’y fait, un nouveau brasero réapparaît presque aussitôt.
Par chance, Nieves a suffisamment de lait pour nourrir au sein sa fillette. Mais la majorité des femmes allaitantes ont du mal à nourrir leur progéniture. Nombreux sont les décès d'enfants en très bas âge dus au manque d’hygiène dans la préparation de la boisson à partir de boites de lait concentré. Un jour sur trois, l’ordinaire est fait à base de morue séchée et non dessalée. Lorsque Nieves revient à la baraque après avoir récupéré sa ration aux cuisines, la morue est couverte de sable.
Le principal danger dans le camp des femmes vient des gardes sénégalais. Leur comportement est particulièrement brutal mais pas seulement. Quand ils ont repéré une proie, ils encerclent, en pleine nuit, la baraque où se trouve leur future victime et tentent d’y pénétrer parfois avec succès, car les femmes se défendent. Certaines filles en font un commerce pour se procurer quelque nourriture.
Une fois réalisées les tâches ménagères, il faut tuer le temps. C’est alors l’occasion de se réunir dans des baraques pour faire connaissance, en réalité pour parler politique, chose qui peut provoquer le renvoi en Espagne.
Le manque d’alimentation équilibrée et l’allaitement fragilisent Nieves qui tombe malade. Elle est hospitalisée pendant 4 mois à l’hôpital de Perpignan. De retour au camp, ce dernier s’est vidé d’une grande partie de ses occupants. Au bout d’un mois – en mai 1940 – elle obtient l’autorisation de rejoindre son mari à Fumel.
A Fumel, les conditions de vie sont totalement différentes. Avec sa fille et son mari, elle habite dans une maison agréable située dans la cité ouvrière. Il y a un jardin, des fleurs, c’est un vrai foyer. Son mari, Ceferino Cueto Garcia, né à Villaviciosa dans la province d’Oviedo en 1909, est arrivé à l’usine de Fumel le 29 décembre 1939 après être passé par les camps de concentration de Saint-Cyprien, Agde, Le Barcarès et Septfonds où il est recruté comme ajusteur-mécanicien.
Mais cette quiétude familiale dure un peu moins d’un mois. Le 5 juillet, la direction de la SMMP fait savoir à tous les étrangers qu’elle emploie qu’ils doivent reprendre le train le lendemain, de très bonne heure, pour repartir au camp de concentration de Septfonds. L’armistice entre la France de Pétain et les nazis étant signé, l’usine ne produit plus de tubes d’obus pour l’armée et donc estime ne plus avoir besoin de toute cette main d’œuvre.
Nieves insiste auprès de son mari pour ne pas répondre à l’injonction mais ce dernier craint des représailles et la famille est condamnée à revivre les atrocités des camps de concentration. A Septfonds, le couple est séparé. Ceferino rejoint les hommes parqués au camp de Judes. Nieves et son bébé sont hébergées dans une ancienne caserne où règne la promiscuité. Là, on ne vit pas, on survit grâce aux topinambours, aux navets, aux 150 grammes de pain noir quotidien, aux rares pommes de terre et encore plus rares pâtes. Sa fillette reçoit la même ration qu’elle avec un quart de litre de lait supplémentaire.
Nommée chef de salle, Nieves a la responsabilité d’organiser la vie en commun des femmes et des enfants. Pendant la semaine, la discipline est stricte, mais le dimanche, elles ont quartier libre pour aller retrouver leurs maris. Pendant un an, elle vit tant bien que mal. Elle trouve le moyen d’effectuer des travaux de couture pour améliorer la ration quotidienne. Cette ressource supplémentaire lui est utile pour aider sa meilleure amie, tombée malade. Cela lui permet de ne pas recourir au marché noir, devenu florissant.
Sur le plan politique, l’heure est à la solidarité et à la mobilisation. Le Parti Communiste Espagnol auquel Nieves appartient toujours ne perd pas de vue le combat à mener en Espagne pour tenter de renverser le régime franquiste. Malgré le danger mortel d’une telle mission, nombreux sont les candidats qui se proposent pour repartir en Espagne. Les exilés, hommes et femmes, dès 1940, commencent à s’organiser pour créer une structure unitaire. Dans les campagnes, dans les usines, là où il y a des Espagnols, naissent des cellules où l’on discute, où l’on planifie afin d’imaginer une Espagne libérée du joug franquiste.
Vient le moment où Vichy décide d’employer de nouveau, au sein de Groupements de Travailleurs Etrangers, la main d’œuvre entassée dans les camps. Le mari de Nieves, comme presque tous ceux qui ont déjà travaillé à Fumel fuit le camp en direction de la SMMP où il est repris comme ouvrier. C’est l’occasion pour les Espagnols de rentrer en contact avec la population française qui se montre peu hostile à leur endroit, contrairement aux autorités françaises en place.
La seconde fille de Nieves naît le 22 juin 1941, au moment où l'Allemagne envahit l'URSS avec 190 divisions, 5 000 avions et 3 500 chars. Cette nouvelle préoccupe la jeune mère. En tant que membre dirigeante du PCE elle court le risque d’être arrêtée par la police de Vichy, comme viennent de l’être certains de ses camarades. Le 29 juin, elle prend la fuite et monte à bord d’un train pour rejoindre Fumel et retrouver son époux.
Son point de chute à Fumel est un pigeonnier que sa famille doit partager avec une autre. Pas d’eau, pas de lumière, pas de gaz, le dénuement est total. Il n’y a pas moyen de trouver un logement plus décent. La surabondance de réfugiés venus du Nord et de l’Est de la France rend le moindre mètre carré inaccessible. Tout est rationné. Le carbure pour chauffer le foyer et cuire les mauvais aliments ne dure que 15 jours. Ensuite, il faut brûler de l’huile de machine que ramènent les hommes.
Dès son arrivée à Fumel, Nieves reprend discrètement son activisme politique. Elle rejoint la Unión Nacional Española (UNE). Elle, comme tant d’autres Espagnols, participe aux actions de solidarité, en particulier pour envoyer des colis à ceux qui sont emprisonnés. En effet, la police est partout. Les Fumélois et en particulier les « rouges », ennemis de la Révolution Nationale de Pétain, sont étroitement surveillés. La gendarmerie, la police, les renseignements généraux et la Gestapo se chargent de pourchasser tous les opposants, Espagnols ou Français. C’est à cette époque que naissent les tous premiers maquis lot-et-garonnais. Dans ces groupes se retrouvent des Français et des Espagnols. Par la suite, certains maquis seront exclusivement composés d’Espagnols.
Le seul avantage en faveur du pigeonnier est que son isolement permet d’organiser des réunions clandestines. Nieves dispose d’une machine à écrire avec laquelle elle peut préparer des articles pour le journal Mundo Obrero ainsi que des feuillets pour Reconquista de España, où bien des affiches à coller dans les rues de Fumel.
Au début du mois de novembre 1942, en raison des pertes subies par la Wehrmacht en URSS, les Allemands viennent à Fumel pour recruter des Espagnols dans le but de les envoyer travailler en Allemagne. Pour alerter les possibles candidats, Nieves et ses amis commencent à diffuser clandestinement des feuillets souvent rédigés sur du papier hygiénique, car c'est le seul papier disponible, le fameux « pelure d’oignon » qui est très rare. Une vague d’arrestations est déclenchée à partir du 7 novembre par la police judiciaire de Toulouse. Nieves est arrêtée le dimanche 8 novembre. Au total, 6 Espagnols sont interpelés à Fumel entre le 7 et le 10 novembre. Ces arrestations viennent s’ajouter à celles de 23 autres Espagnols incarcérés entre le 6 et le 10 juillet 1942 dans le Lot-et-Garonne dont 7 à Fumel. Dans le cadre de ce vaste coup de filet, un peu moins de 200 Espagnols sont détenus dans le Sud-Ouest de la France. Il leur est reproché d’appartenir à une organisation subversive en lien avec le PCE, et identifiée sous le nom de Reconquista de España, dont le but avoué est de renverser Franco.
Nieves est interrogée dans les locaux de la mairie de Fumel. Son interrogatoire est plutôt musclé et pour la déstabiliser, elle est mise en présence d’un Espagnol qui vient d’être torturé. Mais elle ne lâche rien. Malgré que la police détienne toutes les preuves de sa participation à l’Affaire Reconquista de España, la jeune femme nie tout en bloc, même lorsqu’elle est malmenée devant ses filles. Les 5 policiers font preuve de sadisme lorsque devant une autre détenue, ils la déshabillent après l’avoir frappée de nombreuses fois tout en l’insultant copieusement.
Le 4e jour, toujours dans les bureaux de la mairie, elle subit un interrogatoire « dans les règles de l’art policier » au point qu’un médecin est appelé en urgence. Ce dernier diagnostique un simple évanouissement. Au bout du compte, Nieves ne reconnait aucune participation à « l’Affaire ». Le vendredi 13 novembre, elle est transférée à Toulouse à bord d’un train bondé d’Allemands, qui viennent occuper la « Zone libre » après le débarquement anglo-américain en Afrique du Nord.
A Toulouse, elle est internée à la prison Saint-Michel en attente d’un éventuel jugement. Elle rejoint le quartier des femmes, où se trouvent les prisonnières politiques mélangées avec des droits communs. Elle participe à la demande de regroupement des politiques afin qu’elles puissent mieux s’organiser. En attendant, elle a le loisir de contempler toute la misère humaine dans ce lieu de privation de liberté… et de soins. Tombée malade, elle ne reçoit aucune assistance médicale. Malgré la tuberculose dont elle pense souffrir, le juge militaire dont elle dépend se refuse à la transférer ne serait-ce que dans une infirmerie : c’est une terroriste. Finalement, son état critique impose une hospitalisation. On diagnostique alors une lésion du poumon droit.
Au cours de son long rétablissement dans les caves très humides de l’Hôtel-Dieu de Toulouse, elle gagne la confiance de sœur Léontine qui lui confie le rôle d’aide-soignante. Elle est autorisée à pratiquer dans la salle réservée aux hommes. Cela lui donne l’occasion de renouer avec des guérilleros espagnols parmi lesquels Manuel Sánchez Esteban alias Nicolás « Carretero » Ruis. L’évasion est plus une obsession qu’un rêve pour les détenus. « Carretero » réussit la sienne début novembre 1943. Il a en tête l’idée de revenir avec ses camarades pour libérer les autres prisonniers politiques mais l’opération échoue et Nieves se retrouve aussitôt internée dans la zone spéciale du camp de concentration de Noé, antichambre des camps d’extermination allemands.
Evidemment, le traitement qu’elle suivait à l’Hôtel-Dieu est interrompu. Son état se détériore rapidement, au point de devoir l’envoyer à l’infirmerie du camp. Entretemps, ses camarades apprennent que son nom figure sur une liste de déportées pour l’Allemagne. Le 23 janvier 1944, malgré ses 38 kilos et sa lésion pulmonaire, Nieves s’évade du camp avec l’aide de détenus et de guérilleros venus des maquis pour la récupérer. Dès lors, elle rentre dans la clandestinité et sous le nom de Soledad Blasco, elle sillonne, comme agent de liaison pour les maquis FTP-F, la région autour de Montauban. Les Guérilleros espagnols, en collaboration étroite avec les maquis français mais aussi italiens ou autres, mènent des actions de sabotage, d’incendie de dépôts de carburant, de détournement de convois ainsi que des déraillements de trains de matériel militaire allemand.
Quand elle passe par Toulouse, Nieves retrouve Amelia, avec qui elle a déjà travaillé à Fumel. Ensemble, à l’aide de formulaires administratifs volés ou fournis par des Résistants de l’administration, elles fabriquent de fausses cartes d’identités, de faux sauf-conduits et de fausses cartes d’alimentation en plus du transport d’armes et de documents concernant le fonctionnement de la Résistance. Pendant ce temps, la répression menée par les Allemands et leurs collaborateurs français est impitoyable.
Au milieu de toutes ses missions, elle trouve le temps de revenir à Fumel pour revoir ses deux petites filles malgré le danger. Elles ont été confiées à la famille avec laquelle elle partageait le pigeonnier au début de son second séjour fumélois.
Le 3 juin 1944, le tribunal de Toulouse rend son jugement concernant « l’Affaire Reconquista de España ». Nieves écope de 5 ans de prison par contumace et ses camarades, encore en prison, sont condamnés à 3 ans de prison puis envoyés dans les camps de la mort en Allemagne.
En juillet 1944, partie avec Amelia en mission dans le Gers du côté de Condom, elle se retrouve au milieu d’une attaque d’envergure menée par l’armée allemande. Toutes les deux se cachent pendant 3 semaines dans les bois sous la protection d’un maquis du Bataillon « Armagnac ».
De retour à Montauban, Nieves participe à la libération de la ville, le 19 août 1944. Après la Libération de la France, elle poursuit son combat antifranquiste, en France d’abord puis en Espagne à partir de 1967. Elle décède à Madrid en 1982.
Les condamnations
Après les interrogatoires subits à Fumel, certains détenus sont envoyés dans les prisons toulousaines de Furgole et de Saint-Michel. D’autres, sans inculpation, sont « libérés » mais remis au service des étrangers et immédiatement internés aux camps du Vernet-d’Ariège ou de Noé. Le processus judiciaire se poursuit jusqu’au 2 juin 1944. A cette date, ceux qui sont condamnés sont incarcérés au camp du Vernet-d’Ariège. Le 3 juillet 1944, l’occupant nazi décide le transfert des prisonniers de Noé et du Vernet-d’Ariège vers Toulouse. Partis en wagons à bestiaux de la gare Raynal de Toulouse, environ 750 déportés mettent 54 jours pour rejoindre Dachau en Allemagne. Le nom de « Train fantôme » sera donné à ce convoi. Au cours de ce périple infernal, environ 200 prisonniers réussissent à s’évader. Presque la moitié des 536 déportés arrivés à destination le 28 août 1944 ne survivront pas.
Le calvaire de Patricio Moron Rueda
Patricio Moron Rueda est né le 29 janvier 1891 à Orihuela del Tremedal dans la province de Teruel. Il est arrêté le 8 novembre 1942 à Fumel dans le cadre de l’enquête menée par les autorités judiciaires toulousaines. Il est incarcéré dans le camp de concentration du Vernet-d’Ariège qu’il quitte le 30 juin 1944, sur ordre des Allemands, en direction de Toulouse, lieu de constitution d’un convoi de déportation pour Dachau.
Le 2 juillet, il se retrouve en compagnie de prisonniers politiques venus de la prison Saint-Michel ainsi que d’autres internés du camp de Noé. Entassé avec 70 ou 80 autres détenus dans un wagon à bestiaux, Patricio Moron quitte Toulouse le 3 juillet. Le train part en direction de la région parisienne via Bordeaux. Commence alors une longue série d’évasions de prisonniers. Le 8 juillet, le train est stoppé en gare d’Angoulême, car la ligne vers Tours est complètement détruite par les bombardements alliés et les sabotages des Résistants. De retour à Bordeaux, les prisonniers sont enfermés dans des locaux aussi insolites que la synagogue de la ville. Ils repartent le 10 août 1944 en direction de la vallée du Rhône.
Emaillé d’évasions, de marches forcées et de bombardements aériens, le parcours du train termine sa tragique course le 24 août 1944 dans le camp de la mort de Dachau. Patricio Moron reçoit le matricule 94164. Ce camp est l’un des plus durs de l’empire nazi. Le travail forcé, les violences physiques extrêmes infligées par les SS, la malnutrition et l’impossibilité de recevoir des soins en cas de maladie rendent problématiques la survie de Patricio Moron, âgé de 54 ans et déjà affaibli par son séjour au camp du Vernet-d’Ariège. Il décède le 17 février 1945, un peu plus de deux mois avant la libération du camp par les Américains.
La UNE en France occupée
Fumel est un des maillons d’un vaste réseau dirigé par un certain Manuel Gonzalez, repéré à Marseille fin 1941. Manuel Gonzalez est l’alias de Jesús Monzón Repáraz, un haut responsable navarrais du PCE et le chef de la Résistance espagnole en France. Son idée consiste à rassembler tous les démocrates espagnols autour d’un projet fédérateur contre le fascisme et qui serait en mesure de rétablir la République en Espagne.
Jesús Monzón Repáraz, au printemps 1942, crée la « Union Nacional Española » (UNE) dans une ferme des environs de Montauban. La UNE est la réunion de toutes les cellules locales espagnoles présentes en France. Le bulletin « Reconquista de España » sert de lien entre les diverses cellules ou comités. Cette organisation clandestine permet d’augmenter l’audience du nouveau mouvement. Toutefois, la prédominance du PCE n’est pas hégémonique. Si les autres partis ou syndicats exilés ne sont pas présents (ils ont créé une alliance parallèle), leurs adhérents le sont à titre individuel. Le succès de cette organisation incite Monzón à revenir en Espagne, en 1943, pour y reproduire clandestinement le modèle qu’il a développé en France.
Cecilio Arregui Giménez et Jesús Monzón se connaissent. Leur proximité va entraîner Arregui à revenir dans l’action politique depuis son refuge monflanquinois. Il bénéficie de la politisation d’un bon nombre de réfugiés espagnols, de la nécessité absolue de l’entraide pour affronter l’hostilité ambiante et du besoin de débattre autour de leur avenir commun. Cela favorise indéniablement l’éclosion de comités de base dans les villages, les villes, les prisons et les camps de concentration, partout où il y a des GTE et des Espagnols.
Le mouvement prend une telle ampleur qu’il constitue l’un des principaux ferments à l’origine des maquis en France. De ce fait, la répression des occupants allemands et de leurs collaborateurs français pousse encore plus d'exilés espagnols à passer dans la clandestinité des maquis, essentiellement chez les Francs-Tireurs et Partisans Français (FTP-F) communistes. Il n’est pas rare que les Espagnols soient majoritaires dans ces groupes. Dans certains cas, il y a jusqu’à 60 Espagnols pour 25 Français. On trouve même des maquis composés uniquement d’Espagnols, comme le « Détachement X » de Mateo Blazquez alias « Marta » à la frontière du département des Landes et du Lot-et-Garonne. Mais, les Pyrénées sont leur terrain de prédilection, au point qu’à l’été 1944, la ville de Foix sera libérée par les seuls Guérilléros espagnols.
Leur ardeur au combat en fait des alliés appréciés des Forces Françaises de l’Intérieur (FFI). Bénéficiant de l’expérience acquise au cours de la Guerre d’Espagne, ils servent d’instructeurs pour les recrues, de service d’ordre et de protection dans les campements et de troupes de choc lors des accrochages avec l’ennemi.
Mais leur engagement contre le fascisme ne sera par récompensé. Il restera vain, car les démocraties occidentales ne les suivront pas lors de la tentative avortée d’invasion de l’Espagne organisée par des unités combattantes de la UNE. Les Occidentaux sont déjà entrés dans les prémices de la Guerre Froide. Franco et l’Espagne arriérée ne présentent aucun intérêt sauf le risque de voir des communistes s’installer à Madrid et se ranger du côté de Staline.
Cet article a été rédigé grâce aux deux ouvrages ci-dessous :
- « L’Affaire Reconquista de España - 1942-1944 - Résistance espagnole dans le Sud-Ouest », de Charles et Henri Farreny del Bosque, 250 pages - Editions d'Albret (Nérac, 47), Date de parution : 25 février 2009. Vous pouvez aussi lire, en ligne, et des mêmes auteurs : L’affaire Reconquista de España. Important épisode méconnu de la Résistance espagnole dans le Sud-Ouest.
- « Una vida para un ideal » de Nieves Castro Feito, Ediciones de la Torre, Espronceda 20 – Madrid – 3, 1981.
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