01 - Agen - rue de la IIe République

 


 

La IIe République espagnole (14 avril 1931-1er avril 1939)

Table des matières

Le long hiver de l’inepte monarchie espagnole s’efface devant les doux assauts printaniers de la République   1

Derniers soubresauts d’un régime à l’agonie. 2

Avènement de la IIe République. 3

Du combat politique à la confrontation armée. 4

Le biennal réformiste. 4

Le biennal radical-cédiste. 6

Le Frente Popular. 9

Le coup d’Etat et la « nuit franquiste ». 13

 

 

En 1931, la République est confrontée à des difficultés qui remontent aux débuts de l’ère contemporaine, quand l’Espagne traverse les convulsions du premier tiers du XIXe siècle. Le pays souffre de nombreuses crises, crises économiques et crises politiques. L’organisation de l’Etat ne s’est jamais achevée. Le combat est permanent entre le cléricalisme et le laïcisme. La prépondérance excessive des militaires étouffe tout progressisme. L’ascenseur social ne fonctionne pas. Plus du tiers de la population ne sait pas lire. La révolution industrielle reste limitée à la Catalogne et au Pays basque. C’est pour toutes ces raisons que l’Etat espagnol n'a jamais réussi à se moderniser.

Soixante-dix pour cent de la population espagnole est employée dans l’agriculture. Si, au Nord, il existe une petite paysannerie qui vit sans trop de difficultés, les terres du Sud de l’Espagne sont aux mains de l’aristocratie et de la haute bourgeoisie, insensibles aux aspirations des paysans. Un fort taux de chômage précarise grandement ces derniers. Ainsi, le XXe siècle démarre avec une question agraire que seule l’Espagne et la Russie n’ont pas résolue. Au cours des années 1900-1930, quatre-vingt-dix pour cent des journées travaillées le sont dans le domaine agricole.

La question agraire est dont le point clé pour comprendre les soubresauts de la société espagnole. D’autant que la mainmise des castes dominantes sur le pouvoir politique interdit toute expression des différences. Voilà, à grands traits, la situation du royaume d’Alphonse XIII à la veille de la troisième décade du XXe siècle.

 

Le long hiver de l’inepte monarchie espagnole s’efface devant les doux assauts printaniers de la République

LA PRIMAVERA HA VENIDO

DE BRAZOS DE UN CAPITÁN

CANTAD, NIÑAS A CORO:

¡VIVA FERMÍN GALÁN!

LA PRIMAVERA HA VENIDO

Y DON ALFONSO YA SE VA.

MUCHOS DUQUES LE ACOMPAÑAN

A LA ORILLA DE LA MAR.

LAS CIGÜEÑAS DE LA TORRE

QUISIERAN VERLO EMBARCAR.

 

ANTONIO MACHADO

 

LE PRINTEMPS EST ARRIVÉ

DES BRAS D'UN CAPITAINE

CHANTEZ, FILLETTES EN CHŒUR :

VIVE FERMÍN GALÁN !

LE PRINTEMPS EST ARRIVÉ

ET DON ALFONSO DÉJÀ S’EN VA.

DE NOMBREUX DUCS L'ACCOMPAGNENT

AU BORD DE LA MER.

LES CIGOGNES DE LA TOUR

VOUDRAIENT LE VOIR EMBARQUER.

 

ANTONIO MACHADO

 

 

Dans le poème qui précède, le poète Antonio Machado résume en quatre phrases, ce qui constitue un tournant historique pour le peuple espagnol : la proclamation de la République, le 14 avril 1931. La République est arrivée au début du printemps. Après le long frimas bourbonnien, fleurit l’espérance de la belle saison, celle où tout devient possible. Le capitaine Fermín Galán, que cite Machado, a été fusillé le 14 décembre 1930, à la suite du soulèvement manqué de Jaca, deux jours plutôt.

Derniers soubresauts d’un régime à l’agonie

La fin du règne d’Alphonse XIII est marquée par le besoin irrépressible de « changer d’air ». Pour ce faire, une frange des monarchistes tentés par une nouvelle forme de régime rejoignent les républicains traditionnels. Les tractations aboutissent sur une rencontre informelle organisée par l’Alliance Républicaine. Elle a lieu à Saint-Sébastien, le 17 août 1930. Les participants s’accordent pour mettre fin à la monarchie et proclamer la Deuxième République espagnole. Aucun texte ne vient officialiser les résultats des travaux.

En octobre 1930, les deux organisations socialistes, le Parti Socialiste Ouvrier Espagnol (PSOE) et l'Union Générale des Travailleurs (UGT), rejoignent le Pacte dans le but d'organiser une grève générale qui s'accompagnerait d'une insurrection militaire ce qui aurait pour effet de rejeter « la monarchie dans les oubliettes de l'Histoire » et instaurer « la République sur la base de la souveraineté nationale représentée par une Assemblée Constituante », selon le manifeste rendu public début décembre 1930. Dans ce but, un comité révolutionnaire est créé. Cependant, la grève générale ne sera jamais déclarée et le soulèvement militaire, initialement prévu pour le 12 décembre 1930, est repoussé au 15 décembre. La garnison de Jaca ne recevant pas les nouvelles instructions, à cause de dysfonctionnements dans la chaîne de commandement, se retrouve isolée au moment de se soulever. Elle est vite écrasée par les forces monarchistes et le capitaine Fermín Galán ainsi que le capitaine García Hernández sont immédiatement fusillés.

Au début de 1931, la mémoire des capitaines se transforme en un authentique symbole républicain. Ils sont morts pour que naisse et vive la République. Pour les Espagnols, désireux de se libérer du joug de la monarchie, les deux capitaines deviennent des « Héros », les « Martyrs de la République ».

De son côté, Alphonse XIII est à cent lieues des souffrances de son peuple. Plus préoccupé par les aventures extra conjugales, son Hispano-Suiza, la mise à l’abri d’importantes sommes d’argent dans des banques anglaises et suisses et par sa collection de films pornographiques, il abandonne L’Espagne à la tyrannie des grands propriétaires terriens, à la cupidité de la haute bourgeoisie financière et au contrôle strict de la société espagnole par l’Eglise catholique, le tout sous la surveillance étroite de la pléthorique hiérarchie militaire.

Après l’échec des précédentes dictatures militaires, soutenues par le roi, l’amiral Aznar, nouveau chef du gouvernement monarchique, reste sans solution face à la crise politique et sociale. Soutenu par les régionalistes, il promet de convoquer des élections, en commençant par les municipales. Il annonce une révision de la Constitution et l'autonomie de la Catalogne. Mais l’hétérogénéité de son gouvernement ne permet pas de trouver une ligne directrice crédible. Cela ne favorise pas le retour au calme et les émeutes universitaires se poursuivent. Du coup, la préparation des élections municipales est réalisée avec précipitation en espérant que le rôle joué par le caciquisme rural assure la stabilité du pouvoir monarchique. Mais les républicains transforment ces élections en un plébiscite pour ou contre la monarchie. Le vote du dimanche 12 avril 1931 donne un résultat inattendu par le pouvoir. Dans huit provinces, dont les quatre catalanes, le nombre de conseillers municipaux républicains est supérieur à celui des monarchistes. De même, les capitales provinciales offrent une nette victoire à la Gauche. Chose notable, pour la première fois en Espagne, la monarchie perd une élection. Le pari de l’opposition a fonctionné. Là où le caciquisme est absent, le vote est allé majoritairement aux républicains. Autre fait remarquable, dans les zones rurales, la majorité des électeurs ne s’est pas rendue aux urnes. Seuls les affidés des caciques locaux se sont exprimés, ce qui donne peu de poids aux résultats électoraux.

Délégitimé par son appui ostentatoire des dictatures militaires, et après avoir tenté d’obtenir en vain l’appui des forces armées restées fidèles, le roi comprend qu’en Espagne, une révolution politique est en marche. Une révolution qui ne verse pas une seule goutte de sang, aucune mort n’est à déplorer. « La monarchie s'est dissoute comme un morceau de sucre dans une tasse de café » déclare un dignitaire.

Au cours de l’après-midi du mardi 14 avril, après avoir hurlé « Mort au roi », la foule madrilène applaudit Niceto Alcalá Zamora quand il crie depuis le balcon de la Casa de Correos, à la Puerta del Sol : « Vive la République ! ». Il est accompagné de Manuel Azaña, tous deux encouragés par des hommes comme Gregorio Marañón, José Ortega y Gasset ou Pérez de Ayala.

Quelques heures auparavant, Antonio Machado Participe à cette révolution pacifique en hissant le drapeau tricolore au balcon de la mairie de Ségovie. Comme l’ont fait tôt dans la matinée, les villes d’Eibar et de Vigo suivies par Barcelone en début d’après-midi.

En réaction, le roi quitte précipitamment le palais royal par une porte dérobée pour monter à bord d’une voiture. Accompagné d’un amiral, il roule en direction du port militaire de Carthagène. Seuls quatre gardes civils le suivent dans une deuxième voiture. Cette fuite est tellement rapide et discrète que les cigognes n’ont pas le temps de se précipiter pour y assister. A bord du croiseur « Pince des Asturies », le roi quitte l’Espagne pour toujours sans avoir abdiqué. Il va aller jouir d’un exil doré en France d’abord puis en Angleterre, en Italie et enfin au Portugal.

Avènement de la IIe République

La monarchie évaporée, la modernisation de l’Espagne que doit mener la IIe République relève du défi compte tenu des résistances structurelles héritées de l’ancien régime et des résistances conjoncturelles liées à la situation de crise qui sévit dans le monde occidental après le krach boursier américain de 1929, consécutif à la bulle spéculative née au cours des années 1920. Il ne faut pas négliger un troisième facteur venu compliquer la tâche de la jeune république : l’extraordinaire combativité des anarcho-syndicalistes ouvriers et paysans ; ils possèdent une longue expérience des luttes depuis le milieu du XIXe siècle.

La brève histoire de la République peut être divisée en trois périodes de durées à peu près équivalentes. La première est qualifiée de biennal réformiste, la seconde est considérée comme une période noire constituée de reculs sociaux, le biennal noir, et la troisième correspond à celle du Frente Popular qui ramène l’espoir dans le camp progressiste. L’espoir est vite entravé par la tentative de coup d’état de juillet 1936 qui plonge le pays dans une longue guerre et s’achève par la chute de la République le 1er avril 1939.

Du combat politique à la confrontation armée

Le biennal réformiste

Dès le 14 avril 1931, un gouvernement provisoire est mis en place. Il est présidé par Niceto Alcalá Zamora, initialement monarchiste avant de se convertir au républicanisme.

La tâche prioritaire du gouvernement provisoire consiste à organiser l’élection de l’Assemblée Constituante. Le 28 juin 1931, les Républicains obtiennent la majorité absolue soit deux-cent-cinquante sièges sur quatre-cent-soixante-dix. Cent quinze sièges vont aux socialistes du PSOE, les autres partis se partagent le reste et seulement un peu plus d’une vingtaine échoit aux partisans de l’aile Droite de la coalition incarnée par le chef du gouvernement provisoire.

Aucun des Partis républicains historiques n’ayant une majorité suffisante, l’initiative de la formation du gouvernement incombe à l’Alliance Républicaine. Fondée en 1926, elle regroupe, entre autres, le Parti Radical de Lerroux et le Parti Action Républicaine de Manuel Azaña. Le Parti Radical Socialiste de Marcelino Domingo vient compléter cet attelage, Grâce à la personnalité de Azaña, le rôle de son Parti devient déterminant dans l'élaboration de la future Constitution, ainsi que dans l’action du gouvernement pendant la période réformiste.

Dès les années de clandestinité politique sous la dictature de Primo de Rivéra, Manuel Azaña proclame sa volonté d’instituer la République avec l’intention de moderniser le républicanisme espagnol. Il veut l’éloigner de l’influence de Lerroux et le rapprocher d'une base sociale plus large en visant les classes moyennes et populaires urbaines. Cette analyse ne manquera pas de lui poser de nombreux problèmes : soixante-dix pour cent de la société espagnole est rurale. Elle est en attente de mesures fortes pour résoudre son extrême précarité séculaire.

Le corpus du programme auquel Azaña réfléchit depuis longtemps et qu’il souhaite mettre en œuvre est donc d’inspiration réformiste et modéré. Il propose :

·         La laïcité de l'Etat ;

·         L’intervention de l'Etat dans l'éducation, la santé, les prix et le logement ;

·         Une politique sociale élargie ;

·         La redistribution des richesses par les finances publiques tout en respectant l'équilibre budgétaire ;

·         La réforme agraire ;

·         La réduction des dépenses militaires en modernisant les armées ;

·         L'octroi négocié de l'autonomie à la Catalogne ;

·         La liberté d’association, y compris pour le prolétariat ;

·         La nécessité de réguler l’influence des ordres et congrégations religieux dans l’enseignement ;

·         L'égalité entre les citoyens ;

·         Le suffrage universel y compris pour les femmes.

Cependant, les conflits d’intérêt des Partis républicains vont singulièrement compliquer la tâche de Manuel Azaña et cristalliser contre lui tous les conservatismes. Lorsqu’en octobre 1931, Alcalá Zamora démissionne du poste de chef du gouvernement provisoire après l'adoption de mesures anticléricales dans le projet constitutionnel, Azaña forme un nouveau gouvernement de coalition républicain-socialiste en écartant les républicains conservateurs. En décembre, quand une crise gouvernementale fait suite à l'élection d'Alcalá Zamora comme Président de la République, les radicaux de Lerroux rentrent dans l’opposition.

Ayant lié son destin à celui des socialistes et des radicaux-socialistes, Manuel Azaña conduit pendant presque deux ans une difficile politique de profondes réformes de l'État et de la société espagnole. Effectivement, il applique le programme cité ci-dessus mais les résultats obtenus ne sont pas toujours à la hauteur de ses espérances, car presque toutes les mesures entrainent la contestation de l’une ou de l’autre partie de la société espagnole.

Manuel Azaña est en permanence sous la pression du PSOE. L’aile Gauche de ce parti prône une politique sociale plus radicale alors que l’aile droite pratique dans ses fiefs une politique en défaveur des classes laborieuses. De leur côté, de nombreux députés du Parti Radical-Socialiste réclament un changement de gouvernement.

Un autre écueil rencontré par Azaña et non des moindres réside dans le conflit qui oppose les syndicats. La politique de Francisco Largo Caballero, ministre du Travail et chef de l'UGT, est perçue par les syndicats anarchistes comme une prime électorale donnée à son syndicat. Dans le monde rural, la politique de Largo Caballero, engendre bien évidemment la forte hostilité des grands et des petits propriétaires terriens qui œuvrent à la déstabilisation du gouvernement.

Les débats autour du statut de la Catalogne déclenchent la vindicte de tous les conservateurs qui dénoncent une concession faite aux séparatismes. Le parti de Manuel Azaña est lui-même traversé par cette division. A tel point qu'à l'été 1932 l’approbation du statut par les Cortes semble compromis. Les militaires de tendance ultra conservatrice, renfrognés par la réforme de leur corps par Azaña, fidèles à leur longue tradition du pronunciamento, rentrent dans la danse avec la tentative de coup d'État du général Sanjurjo en août de la même année. Cet épisode resserre les rangs des républicains. Ils votent le nouveau statut de la Catalogne et la réforme agraire.

La laïcisation de l’Etat et la création d’un vrai service de l’enseignement public donne l’occasion à l’Eglise catholique de prendre parti contre la République. La mobilisation de la Droite catholique conservatrice culmine avec le vote de la loi de 1933 sur les confessions religieuses et les congrégations. Cette loi implique l'interdiction des centres éducatifs dirigés par les ordres religieux. Ce que l’Eglise considère comme une atteinte à son devoir d’éduquer le peuple. Ce faisant, elle s’arroge un rôle qui ne correspond pas à la sociologie religieuse espagnole : une bonne partie des Espagnols ne pratique pas le culte catholique.

Enfin, la contestation paysanne et ouvrière, parfois alimentée par les socialistes mais le plus souvent par le syndicat anarchiste de la Confédération Nationale du Travail (CNT) donne lieu à de violentes répressions policières. La plus grave d’entre-elles se produit en janvier 1933. Il s’agit du massacre de Casas Viejas, au cours duquel une dizaine de paysans est froidement assassinée par des gardes d'assaut.

Ce qu’il faut retenir de cette période réside dans la différence d’appréciation de la situation politique entre Manuel Azaña et des socialistes sous l’ascendant de Largo Caballero :

·         Le premier pense que la collaboration avec les socialistes est nécessaire jusqu’à ce que toutes les mesures de son programme soient effectives. Après, il faudra revenir à un gouvernement purement républicain. Il pense ainsi éviter les « horreurs d’une révolution sociale » ;

·         Le second, au contraire, est convaincu que la seule voie possible pour l’Espagne afin de sortir du sous-développement social passe par le socialisme révolutionnaire, sans chercher le soutien des anarchistes.

En juin 1933, le Président de la République Alcalá Zamora pense que l’opinion publique est majoritairement défavorable au pouvoir en place. Il met à profit les divisions internes du gouvernement pour forcer Azaña à la démission. Comme toute autre combinaison est impossible, le Président est contraint de renommer Azaña chef du gouvernement. Ce dernier, persuadé que les socialistes sont fidèles à leurs engagements et craignant la victoire de la Droite aux prochaines élections, fait voter une nouvelle loi électorale qui pousse les partis à se coaliser pour obtenir une majorité stable. A peine la loi votée, Azaña se rend compte du risque encouru par les partis républicains modérés. Ils ne pourront pas composer avec des socialistes en voie de radicalisation ou avec la Droite retranchée derrière son credo ultra conservateur.

 Certains socialistes réclament la fin de la coalition au pouvoir. Le 7 septembre 1933, le Président de la République retire sa confiance à Azaña et le 15, Lerroux parvient enfin à former son premier gouvernement. Bien que sachant avoir à faire avec des Cortes dominées par la Gauche, Lerroux prononce un discours d’investiture carrément provocateur. Le 3 octobre, il est renversé par une motion de censure déposée par les Socialistes.

Le 8 octobre, Alcalá Zamora nomme chef du gouvernement Martínez Barrio, l’éminence grise de Lerroux. La reconstruction de la coalition qui avait fondé la République semble possible, au moins pour gouverner jusqu’aux prochaines élections. Mais les Socialistes refusent de rejoindre le nouveau gouvernement. La coalition républicaine-socialiste est définitivement rompue. Le PSOE s'oriente vers la prise révolutionnaire du pouvoir. Largo Caballero rappelle que la dictature du prolétariat est inévitable pour passer du capitalisme au socialisme. En septembre, il déclare que le choc entre les deux systèmes politiques sera inévitablement violent.

 Le seul choix possible pour le Président est l’organisation d’élections législatives anticipées. Le 9 octobre, un décret présidentiel dissout les Cortes.

Le biennal radical-cédiste où biennal « noir »

La prédiction d’Azaña concernant le risque que les partis devraient chercher des alliances de second tour pour obtenir une majorité s’avère erronée. Deux-cent-cinquante députés dont cent-deux de la Droite opposée aux principes fondateurs de la République sont élus au premier tour, sans avoir eu besoin de passer par une quelconque coalition de deuxième tour. Les républicains du centre obtiennent cent-vingt-sept sièges, ceux de la Gauche ouvrière soixante-deux. C’est un tremblement de terre pour les républicains de Gauche, sauf en Catalogne où Esquerra Republicana obtient dix-huit députés alors que les républicains de Gauche du reste de l'Espagne n’en obtiennent que quinze. D’aucuns prétendent que ce résultat est lié au vote féminin, exercé pour la première fois, sous influence de l’Eglise. D’autres relèvent que la propagande anarchiste en faveur de l’abstention a marqué des points. Mais, l’échec des républicains est plutôt la conséquence de la désunion des partis de Gauche. Ils se sont présentés séparément, contrairement aux élections de 1931. Toutefois, si l’union des Gauches avait été effective, elle n’aurait pas suffi à assurer sa victoire car la somme des voix recueillies ne dépasse pas le tiers des votes exprimés. Il y a donc un malaise profond dans l’électorat de Gauche et qui semble rejeter la politique de la coalition Azaña-socialistes en pratiquant l’abstention.

Dans le bloc des Droites, aucun parti n’a la majorité, mais leur profession de foi est explicite. Pendant la campagne électorale, il a été répété à satiété, en particulier par la Confederación Española de Derechas Autónomas (CEDA) : « Les candidats de la coalition antimarxiste défendront résolument et coûte que coûte la nécessité d'une abrogation immédiate, par la voie appropriée dans chacun des cas, des préceptes, tant constitutionnels que juridiques, inspirés par des visées laïques et socialisantes (...). Ils travailleront sans relâche pour obtenir l'annulation de toutes les dispositions qui confisquent les biens et persécutent les personnes, les associations et les croyances religieuses. ». le décor est planté pour mener à bien le détricotage des avancées obtenues pendant la période précédente.

Le 5 décembre, Manuel Azaña, Marcelino Domingo et Santiago Casares Quiroga se rendent à l’évidence. Il y a urgence à ne faire aucune concession à la majorité de Droite. Le Président de la République répond à cette inquiétude en nommant Lerroux à la tête du gouvernement. Les partis de Droite marquent immédiatement leur différences par rapport aux radicaux de Lerroux. Le cédiste José María Gil Robles dénonce le Parti Radical comme étant un parti laïciste puisqu’il a voté en faveur de la Constitution de 1931. Son intention est claire : en tant que parti confessionnel catholique, la CEDA aspire à un nouveau modèle d'État. Il précise sa pensée en déclarant que si la CEDA ne parvient à gouverner pour corriger les erreurs du biennal progressiste, alors il faudra choisir une voie différente de celle de la démocratie et chercher « d'autres solutions », une position assez semblable à celle adoptée par Largo Caballero à l'été 1933.

Lerroux se laisse déborder par la CEDA et lui accorde de nombreuses concessions, telles :

·         La politique de l'ordre public ;

·         La substitution des municipalités de Gauche par des administrations favorables à la CEDA ;

·         Le non-respect de la législation anticléricale ;

·         L’abandon de la législation du travail.

En réaction, en mai 1934, une partie non négligeable des députés radicaux fait sécession. Lerroux finit par donner sa démission après avoir accepté, sous la pression de la CEDA, la libération des putschistes de la Sanjurjada de 1932. Il est remplacé par Ricardo Samper. Ce dernier, sans autorité réelle sur les formations qui composent son gouvernement, s’efforce de mener une politique centriste. Confrontée à une contestation sociale grandissante, cette position ne satisfait ni les syndicats paysans et ouvriers, ni les milieux patronaux.

Face au danger de voir le régime démocratique basculer sous les coups de boutoir de la Droite, inspirée par les modèles mussolinien et salazariste, Azaña, Marcelino Domingo et Santiago Casares Quiroga fusionnent leurs partis respectifs en avril 1934 sous le nom de Parti de la Gauche Républicaine. Ils se placent dans une opposition radicale au gouvernement Samper en appelant à une « mobilisation de l'Espagne républicaine ». En même temps, ils s’éloignent du Président de la République Alcalá Zamora parce qu’il ne répond pas favorablement à leur demande de nomination d’un gouvernement minoritaire de « Salut public » pour défendre la jeune République. De leur côté, les socialistes refusent tout accord et choisissent la conquête du pouvoir en solitaires. Le socialiste Largo Caballero fait prendre à son parti un tournant révolutionnaire.

Au cours de l’été 1934, l’aile droite du gouvernement conspire pour faciliter l’entrée de trois ministres de la CEDA. Le but poursuivi consiste à forcer les socialistes à déclencher leur révolution marxiste. Cela permettrait d’exiger que le Président de la République autorise la convocation de nouvelles élections. Le 4 octobre 1934, la CEDA fait son entrée au gouvernement. L’arrivée au pouvoir des ennemis de l’autonomie des régions et la grève générale impulsée par les socialistes dans diverses régions espagnoles pousse le Président de la Généralité de Catalogne à proclamer « l’Etat Catalan », le 6 octobre. Un début d’insurrection est maté en quelques heures dans la capitale catalane. Le Président Lluis Companys et son gouvernement sont emprisonnés à bord d’un navire militaire à l’ancre dans le port de Barcelone.

Le déclenchement des grèves révolutionnaires dans les Asturies en octobre 1934, fournit à la CEDA l’occasion de montrer son véritable objectif : l’écrasement complet de la Gauche espagnole. Les forces coloniales espagnoles, venues en renfort du Maroc, appliquent sur le peuple asturien les mêmes méthodes barbares que celles pratiquées dans le Rif espagnol. Sous la direction du général Franco, des dizaines de milliers de mineurs et de villageois sont massacrés ou emprisonnés, simplement parce qu’ils sont de Gauche. Cela préfigure la répression qui s’abattra sur l’Espagne républicaine à partir de juillet 1936.

En mars 1935, les trois ministres de la CEDA démissionnent lorsque Lerroux décide de commuer les peines des chefs socialistes de l'insurrection asturienne. Face à une nouvelle crise gouvernementale en mai 1935, Lerroux forme un énième gouvernement en nommant cette fois-ci cinq ministres cédistes. Après avoir précédemment attaqué les enseignants, accusés de répandre des idées contraires aux intérêts de l’Espagne, commence alors le grand ménage tant attendu par les antirépublicains, en particulier l’extension du non-respect de la législation du travail, la marginalisation des militaires identifiés comme républicains, et la nomination d’officiers ultras. La tentative de modification de la Constitution est toutefois repoussée par les députés radicaux de Lerroux.

La disgrâce de Lerroux est totale quand éclate fort à propos un scandale de corruption qui permet à Alcalá Zamora de le destituer en septembre 1935. Parallèlement, l’avenir politique de Manuel Azaña s’éclaircit. Après être passé par une phase prérévolutionnaire au cours de l’année 1934, il revient à ses fondamentaux du biennal progressiste. Il est alors considéré comme un « martyr politique » et un symbole de la Gauche. Du statut de persécuté, il passe à celui de figure symbolique des opprimés, acquérant une popularité qu'il n'avait jamais eue jusque-là.

Dans les discours qu’il prononce au cours de l’été et de l’automne 1935, Azaña déclare qu’il faut « détruire les privilèges des classes possédantes », hors de tout esprit de revanche, mais dans le but de donner de la stabilité à la société espagnole. Il propose que la majorité issue des prochaines élections rétablisse les lois sur l'éducation et le travail. Il appelle à réorganiser la justice, à promouvoir la réforme agraire et à adopter une politique fiscale et budgétaire visant à « briser les grandes concentrations de richesses territoriales et financières ».

À la mi-novembre 1935, Azaña propose aux socialistes la formation d’une coalition électorale fondée sur l'accord conjoint des forces de la Gauche républicaine. La tendance modérée du PSOE, conduite par Indalecio Prieto abonde dans ce sens alors que celle de Francisco Largo Caballero se montre réticente jusqu’à ce que le Parti Communiste Espagnol (PCE) soit inclus dans l’accord. L’arrivée du PCE dans le jeu politique a été rendu possible après le VIIe Congrès de la IIIe Internationale tenu à Moscou à l'été 1935. Congrès au cours duquel Staline avait proposé la formation de « fronts antifascistes » en réaction à l’arrivée au pouvoir de Hitler en Allemagne en 1933.

La nouvelle position du PSOE, favorable à l’union, ne cache pas de profondes divisions quant à leur attitude respective en cas de victoire de la Gauche. Pour les partisans de Prieto, il s’agit de consolider la démocratie républicaine. Pour ceux de Largo Caballero, il faudra reprendre le chemin de la révolution, d'où l'insistance de Largo Caballero pour que le PCE entre dans la coalition et participe à l'élaboration du programme afin de renforcer le « Front Ouvrier ».

Entretemps, Alcalá-Zamora prend soin de tenir la CEDA éloignée du pouvoir. La crise gouvernementale du 9 novembre 1935 lui permet de nommer son ami Manuel Portela Valladares au poste de Président du Conseil. L’ambition du Président de la République est de créer une force centriste entre la Droite radicale cédiste et la Gauche sociale azañiste.

La mission confiée à Portela Valladares consiste à réunir les conditions favorables pour la victoire des forces du Centre lors des prochaines élections. C’est, pour les deux têtes de l’exécutif, le seul moyen d’éviter une conflagration entre la Gauche revendicative et une Droite antirépublicaine chauffée à blanc.

Portela reconnait la victoire du Frente Popular dès le premier tour des élections qui a lieu le 16 février 1936. Il ne cède pas aux pressions putschistes des groupes de Droite qui demandent la déclaration de l'état de guerre pour éviter le retour au pouvoir de Manuel Azaña et de ses alliés. Avant de céder sa place, Portela prévient le PSOE en ces termes : « Prenez toutes les mesures adéquates. Nous sommes menacés par un coup d'État ».

Le Frente Popular

Le Frente Popular est à l’origine d’une intense mobilisation de masse qui met à profit l’arrivée d’un gouvernement de gauche pour réaviver l’action revendicative, contrainte au cours du biennal précédent. Ces revendications sont uniquement sociales et économiques. Elles n’ont aucun caractère prérévolutionnaire marxiste. Sauf à considérer que réclamer les moyens d’une vie digne est un acte révolutionnaire... C’est l’analyse qu’adopte la Droite. Dans cette mouvance, de larges couches des milieux conservateurs persistent dans l’aveuglement politique. Une série de tensions et de ruptures institutionnelles (avec la Présidence de la République ainsi qu’avec une partie importante des forces armées et des forces de sécurité) conduisent les réactionnaires de Droite à abandonner le compromis démocratique pour se réfugier dans l’extrémisme. Ils le justifient grâce au mythe du chaos qu’ils attribuent à l’illégitimité du pouvoir détenu par la Gauche.

La première attaque de la Droite contre le Frente Popular a lieu dès le 17 février 1936. Elle est menée par Gil-Robles et Franco, chef d'état-major de l'armée. Le général ordonne aux commandants militaires de déclarer l'état de guerre (ce qui signifie que le pouvoir civil doit être dévolu aux autorités militaires). Mais, sa tentative est désavouée par le chef du gouvernement et par le ministre de la Guerre encore en fonctions. De plus, il n’obtient pas le soutien du directeur de la Garde civile, le général Sebastián Pozas, ni celui du général Miguel Núñez de Prado, chef de la police. Finalement, le général Franco fait marche arrière, surtout après l'échec des généraux Goded et Fanjul à soulever la garnison madrilène.

Pour justifier leur tentative de putsch, les militaires invoquent les violences qui ont suivi la proclamation des résultats des élections. En effet, en divers lieux du pays, des manifestants envahissent les rues, à la fois pour fêter leur victoire et surtout pour réclamer la libération des prisonniers politiques, condamnés à la suite des évènements d’octobre 1934.

Manuel Azaña est obligé de constituer un gouvernement dans l’urgence. Quand ce dernier demande le calme et enjoint les gouverneurs civils des provinces de rétablir l’ordre républicain, il constate qu’ils ont déjà donné leur démission et les fonctionnaires subalternes sont aux abonnés absents.

Pour écarter le danger militaire, le nouveau gouvernement prend des mesures coercitives à l’encontre des généraux putschistes. Franco est envoyé aux Canaries, Mola à Pampelune, Goded aux Baléares et les autres comme Orgaz, Villegas, Fanjul et Saliquet sont mis en disponibilité. Cela n’empêchera en rien la préparation de la tentative de coup d‘état des 17 et 18 juillet 1936 par ces mêmes officiers supérieurs.

Le premier défi que doit relever le nouveau gouvernement consiste à libérer rapidement les prisonniers politiques afin d’arrêter les vagues de violence perpétrées, en principe, par ceux qui ont voté pour obtenir l’application de ce point inscrit au programme des candidats du Frente Popular. Sans attendre l’investiture de la nouvelle assemblée, Azaña obtient, le 21 février 1936, l’aide de la CEDA pour faire accepter par les députés de l’ancienne assemblée un texte permettant la libération de 30 000 détenus. Le 28 février, le gouvernement promulgue un autre décret portant sur la réintégration des ouvriers licenciés « pour leurs idées ou en raison de grèves politiques ». ce décret a un effet rétroactif en incluant les anarchistes emprisonnés à partir du 1er janvier 1934. Cette mesure, hautement contestée par les employeurs, ne sera toujours pas entièrement effective en juin 1936.

Dès le 20 février, le gouvernement Azaña rétablit dans leur fonctions les conseils municipaux de Gauche et les conseils provinciaux qui avaient été remplacés par des administrations de Droite par ordonnance du gouvernement radical-cédiste après l’écrasement de la révolution d’Octobre 1934. Les conseils municipaux basques, suspendus aussi en 1934, sont également rétablis dans leurs fonctions. Notons que dans certains cas le remplacement des édiles ne coïncide pas avec la couleur politique issue des élections ce qui entraine frustrations et animosités au sein de la Droite, d’où le procès en illégitimité intenté contre la Gauche.

Le 26 février 1936, Manuel Azaña fait encore appel aux votes de la CEDA pour rétablir Lluis Companys dans ses fonctions de Président de la Généralité de Catalogne, le 2 mars. L’élargissement des prisonniers politiques catalans s’inscrit dans une réorientation favorable à l’autonomie d’autres régions. En Catalogne, la Gauche républicaine, majoritaire, doit affronter une Droite virulente et opposée au fédéralisme prôné par ceux qui sont au pouvoir.

En Catalogne, comme en Andalousie, en Extrémadure et dans d’autres régions, la réforme agraire est remise à l’ordre du jour. Bien qu’elle soit devenue un des points centraux de l’action du Frente Popular, elle a bien du mal à se mettre en place.

Rappelons que la Réforme Agraire a connu une première mise en application à travers la législation sur le travail dès 1931. Cette législation étendait au monde agricole les nouvelles règlementations sur les salaires et le temps de travail. Mais, le manque d’ambition sur l’envergure à accorder à cette réforme et l’immédiate réaction des propriétaires fonciers de Droite neutralisèrent ses effets. En outre, les dotations budgétaires pour la mener à bien n’étaient pas à la hauteur. Pensée au niveau national, un temps précieux fut perdu quant à la délimitation des terres expropriables, car en réalité seules quelques provinces étaient concernées.

Rappelons également qu’au cours du biennal radical-cédiste, se met en place une véritable contre-réforme agraire. Cette attaque en règle contre les intérêts des paysans sans terre augmente la conflictualité ambiante. Un des deux travers de la IIe République est alors mise en évidence : en premier lieu, elle n’a pas su se défaire de la militarisation judiciaire des conflits sociaux, héritée de l’ancien régime ; en second lieu, elle ne s’est pas débarrassée des responsables et des méthodes de gestion, elles-mêmes héritées de la monarchie. De sorte qu’à l’occasion des conflits sociaux, la réponse est toujours militaire ce qui se traduit par de nombreux morts parmi ceux qui manifestent pour leurs droits.

La Droite a vite compris tout le bénéfice qu’elle peut tirer d’une telle situation. D’un côté, elle met en œuvre les actions susceptibles de freiner les avancées sociales, générant de nombreux conflits sociaux et de l’autre, elle se sert de la tribune de l’Assemblée et des manchettes alarmistes de la presse, majoritairement de Droite, pour interpeler le gouvernement et lui reprocher sa coupable impuissance.

Malgré cela, le Frente Popular reprend à son compte la poursuite de la Réforme Agraire. Un nouvel écueil vient percuter cette ouvre de salut public. Le temps nécessaire à l’étude de procédures légales d’expropriation et de distribution des terres ne correspond pas à l’urgence de fournir un moyen de subsistance aux journaliers agricoles frappés par un très fort taux de chômage.

Cette différence de perception de l’urgence est illustrée par les propos tenus, dès le lendemain des élections, par la Fédération Nationale des Travailleurs de la Terre (FNTT) dans sa revue Los Obreros de la Tierra : « D’abord les faits, ensuite le droit ». Cela se traduit par l’occupation de cinq mille propriétés par trente milles ouvriers agricoles, le 25 mars 1936 dans la province de Badajoz. Cet épisode est un véritable électrochoc pour la Droite espagnole, essentiellement agraire. Elle mesure le risque réel de voir les journaliers la priver de son capital foncier.

L’autre danger pour la Droite réside dans la perte des biens communaux, réforme que le Frente Popular envisage de mener à bien à partir de mai-juin 1936. Des biens communaux qu’elle avait confisqués tout au long du XIXe siècle grâce à la desamortización, une autre réforme agraire mais dans le sens libéral de l’époque.

A partir de ce moment-là, la Droite antirépublicaine cesse de s’impliquer dans la vie politique démocratique et s’en remet aux acteurs en mesure de protéger ses intérêts, c’est-à-dire les militaires. Alors, une grande partie de ses sympathisants rejoint les rangs du parti fasciste d’extrême-droite, la Falange.

Ceux qui, aujourd’hui, prétendent qu’il faut établir une équidistance entre la violence de Droite et celle de Gauche sont dans l’erreur. Dans le programme électoral (voir en annexe), signé par l’ensemble des forces de Gauche, les partisans de la voie révolutionnaire ont mis en sourdine leurs aspirations, ceci afin de gagner les élections de toute évidence mais aussi, au moins au début, pour laisser à la Gauche une occasion unique de transformer la société de manière pacifique.

Répétons qu’au commencement du Frente Popular, jamais aucun conflit social n’est le résultat d’une situation prérévolutionnaire. En effet, dans le cas de la Réforme Agraire, ses bénéficiaires agissent dans un esprit légaliste. Ils forcent l’Institut de la Réforme Agraire (IRA) à appliquer les lois et les décrets, même si une grande partie des fonctionnaires de cet institut y sont politiquement opposés.

De leur côté, les fascistes de la Falange considèrent que la prise du pouvoir passe par la violence. Ils développent une tactique terroriste contre les organisations de Gauche, en fomentant des attentats qui provoquent une riposte identique ou supérieure de la part du camp adverse.

Sur le plan politique, les Cortes se liguent contre le Président de la République pour provoquer sa destitution. Personne ne souhaite qu'Alcalá Zamora continue à présider la République. La CEDA, avec Gil Robles à sa tête, est convaincue qu'il l’a empêchée de prendre le pouvoir en décembre 1935. La Gauche, et Azaña en particulier, ne lui pardonne pas de lui avoir retiré sa confiance en septembre 1933. Ce qui a provoqué la chute du gouvernement Azaña, l’arrivée des Radicaux de Lerroux, avec pour corolaire un recul significatif de la politique sociale.

En réalité, ce qu'Azaña veut éviter à tout prix, c'est qu’à la première occasion, le Président use du droit de dissolution des Cortes que lui attribue la Constitution pour obtenir une nouvelle majorité à sa main. En outre, il craint que, dans un premier temps, le Président le destitue et nomme un nouveau Président du Conseil, malgré la majorité absolue du Frente Popular à la chambre. Pour écarter ces risques, le Frente Popular, pour destituer le Président, invoque de manière controversée l’article 81 de la Constitution de 1931, qui stipule qu’au cours d’un mandat, le Président de la République ne peut pas dissoudre deux fois la chambre. A la suite de virulentes confrontations aux Cortes entre Gauche et Droite, Manuel Azaña est élu Président de la République, le 10 mai 1936.

Manuel Azaña veut remettre en selle la coalition entre les forces du centre gauche et les socialistes modérés, celle-là même qui lui avait permis de gouverner pendant le biennal progressiste. Ce faisant, il réavive les aspirations révolutionnaires du syndicat UGT et de l’aile gauche du PSOE, toujours sous l’influence de Largo Caballero. Face au risque de rupture interne du PSOE, Indalecio Prieto renonce à postuler le poste de Président du Conseil et Azaña est contraint de nommer un de ses fidèles comme chef du gouvernement : Santiago Casares Quiroga, un personnage sans grande envergure politique.

Le nouveau gouvernement ne prend aucune mesure significative en faveur des travailleurs. Ces derniers sont toujours en attente de solutions susceptibles d’améliorer leurs conditions de vie et de rompre avec le chômage de masse. L’UGT socialiste est le premier syndicat à lancer les mouvements de grève, suivie par la CNT anarchiste. Là où les deux syndicats sont en concurrence, comme à Madrid ou à Malaga, il n’est pas rare que des combats fratricides aient lieu.

Lorsque Azaña, encore chef du gouvernement, a présenté des mesures fiscales pour financer un programme de travaux publics et la maîtrise des salaires pour rétablir l'équilibre de base de l'économie, seul le dirigeant communiste José Díaz Ramos s'est limité à demander une semaine de 44 heures et le porte-parole de la tendance Largo Caballero est resté sans voix. Cela traduit le désarroi de la classe politique face aux revendications toujours plus radicales des paysans et des ouvriers.

Inévitablement, les grèves et les violences qui leur sont inhérentes conduisent la Droite espagnole à questionner l’inefficacité gouvernementale, surtout à partir de juin 1936. Elle a beau jeu de dénoncer à tout va les exactions imputées aux émeutiers mais elle se garde bien de mettre la main à la poche pour financer la moindre mesure sociale. Elle met plutôt en avant le credo du monde libéral : la « main invisible du marché » est la seule arme capable de réguler l’économie.

De leur côté, tous les officiers supérieurs qui ont participé, de près ou de loin, aux différentes agressions contre la République, s’affairent en secret pour réunir les fonds, les armes et les aides extérieures (Allemagne nazie, Italie et Portugal fascistes) afin de se soulever contre les institutions.

Le coup d’Etat et la « nuit franquiste »

Dans l’esprit des conjurés des 17 et 18 juillet 1936, il ne s’agit pas de régler un conflit de classes. Ils sont persuadés que pour conquérir le pouvoir, il faut en passer par une guerre de civilisation. Il s’agit de la lutte de la vraie Espagne contre une horde de « rojos » marxistes venus de l’étranger pour souiller la pureté de la race espagnole.

Au lendemain de la formation du premier gouvernement Azaña en 1931, la Communion Traditionaliste catholique affirmait « que ce ne serait pas au Parlement où serait livrée la dernière bataille, mais sur le terrain de la lutte armée » et que cette lutte partirait « d'une nouvelle Covadonga qui, face à la révolution, servirait de refuge à ceux qui la fuyaient et entreprenaient la Reconquête de l’Espagne ». La Reconquista, l’inquisition et l’élimination physique des opposants sur le modèle de l’Allemagne nazie, voilà le programme politiques des franquistes.

Dès les premiers jours de la Guerre Civile, et de manière très dure jusqu’en 1944, les franquistes vont appliquer méthodiquement ce programme. Puis de manière moins systématique mais tout aussi déterminée, elle s’applique bien après la mort du dictateur en 1975.

Les Républicains sont invisibilisés. Ce sont des déviationnistes qui ont exprimé un terrible gêne rouge qu’il faut absolument extirper. Pour mener à bien cette noble tâche, tout y passe : fusillades, emprisonnements dans des camps de concentration, travaux forcés, tortures systématiques, purges à l’huile de ricin, expériences médicales, vols de bébés…

Cette tragique période a profondément imprégné l’esprit des Espagnols. Les franquistes ont convaincu une majorité d’entre eux qu’une République est une source inévitable de chaos. Une anecdote illustre ce trauma : il s’agit d’une grand-mère qui, face au brouhaha provoqué par ses petits-enfants dans le salon, s’écrie : « Qu’est-ce que c’est que cette république ! ».

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