03 - Francescas - 35e Brigade MOI


  

« Camilo », Tomás Guerrero Ortega dans les franges Sud du Lot-et-Garonne

La Guerre d’Espagne

Tomas Guerrero Ortega est né à Madrid le 25 septembre 1913. Entré dans l’armée, sous la IIe République, il est affecté dans une unité au Maroc espagnol. En 1935, devenu lieutenant, il est poursuivi pour indiscipline et est chassé de l’armée. Parallèlement, il rejoint le Parti Communiste Espagnol (PCE).

Après le coup d’état des généraux félons, Guerrero s’engage d’abord dans les rangs des milices populaires de Madrid, puis ceux de l'armée populaire de la République où il combat dans la Sierra de Guadarrama. On lui confie le commandement du 115e bataillon de la 29e Brigade mixte.  En qualité de major de la milice, il participe à la campagne d'Aragon, pour tenter d'arrêter l'offensive franquiste vers la Méditerranée. En avril 1938, il est aux commandes de la 227e Brigade mixte, unité avec laquelle il participe à la bataille de l'Èbre, au cours de l’été et de l’automne 1938. Il est grièvement blessé en janvier 1939 en participant à la défense de Barcelone. Il est évacué vers la France, au moment de la Retirada. Il est alors amputé d’une jambe.

La lutte antifranquiste en France

Après la Retirada, et son exil en France, Guerrero contacte, en 1941, le général Evaristo Luis Fernández. Intégré dans un groupe de Républicains espagnols, il participe à la lutte contre l’occupant et contre tous ceux qui collaborent avec lui. En raison de ses activités, il est arrêté par la police de Vichy. Enfermé au camp disciplinaire du Vernet-d ‘Ariège, Guerrero organise de nombreuses évasions. La Main d’Œuvre Immigrée, M.O.I., l’aide à s’évader, et il se retrouve dans le secteur de Montauban.

Guerrero rêve de retourner en Espagne pour renverser Franco et transformer le monde en mettant en œuvre ses idéaux communistes. Mais avant de pouvoir traverser la frontière franco-espagnole, il doit d’abord s’associer au combat de tous ceux qui luttent contre les nazis allemands qui occupent la France.

L’engagement dans la Résistance française

Le 14 novembre 1943, Tomas Guerrero Ortega arrive dans une petite ferme située dans la région de Montauban, probablement là où fut créée la Union Nacional Española au printemps 1942, par le communiste navarrais Jesús Monzon. En avril de la même année, lors d'une réunion tenue dans une zone isolée des contreforts des Pyrénées près de Foix, les Républicains espagnols forment une unité de guérilla. Ils la nomment XIVe corps de guérilla parce que son premier chef est Jesús Ríos García, ancien officier du XIV corps d'armée de l'armée populaire de la République. Ce corps constitue la première unité de l’A.G.E., Agrupación de Guerrilleros Españoles, sous la coupe des F.T.P., Francs-Tireurs et Partisans du Parti Communiste français. L’A.G.E. deviendra totalement indépendante en mai 1944, tout en se coordonnant avec les F.F.I., Forces Françaises de l’Intérieur et les réseaux du S.O.E. britannique, le Special Opérations Executive.

Les consignes de l’A.G.E., imposent à Tomas Guerrero d’enrôler les Républicains espagnols encore dispersés et désireux de servir la cause. Il ne doit pas oublier ceux qui se sont déjà engagés dans les réseaux locaux. Installé à Lupiac, au Nord-Ouest d’Auch et non loin de Vic-Fezensac, il est présenté au chef du Bataillon de l’Armagnac, Maurice Parisot, à Saint Gô, au début 1944. Ce rapprochement permet à Guerrero de recevoir des armes, du ravitaillement et des véhicules, Toutefois, il conserve jalousement son autonomie.

Luis Fernandez envoie Guerrero à Fleurance, pour rencontrer Angel Pastor, secrétaire de Ia U.N.E. On lui demande de regrouper dans une seule unité tous les Républicains espagnols engagés dans la Résistance gersoise. La U.N.E., majoritairement composée de communistes espagnols, envisage la « Reconquista » de l’Espagne. A ce titre, le parti souhaite disposer d’un corps d’armée pour mettre fin au régime franquiste dès que la France sera libérée. Guerrero devenu « Camilo » propose que sa 6e Brigade de Guérilleros espagnols s’intitule désormais 35e Brigade (des Guérilleros espagnols) en mémoire de Marcel Langer, récemment guillotiné

La Résistance entre Agen, Toulouse et le Gers

·         Tout commence avec le Réseau « Victoire ». il est constitué à Agen en mars 1941, autour de quelques militaires français et d’un imprimeur belge, replié dans cette ville, Maurice Rouneau. En novembre 1942, un agent britannique arrive à Agen en provenance de Vichy. Il a été envoyé en France par le S.O.E. George Reginald Starr se joint au réseau Victoire. Starr s’installe à Castelnau-sur-l’Auvignon au début de 1943. L’association avec Victoire donne naissance à une structure bien plus importante : en 1944, Wheelwright est l’un des réseaux les plus efficaces qui soient dans la Résistance française. A la mi-avril 1944, George Starr, « Hilaire », rencontre le capitaine Maurice Parisot, commandant le bataillon de l’Armagnac.

·         Après le débarquement anglo-américain en Afrique du Nord, le 8 novembre 1942 et le franchissement de la ligne de démarcation par l’armée allemande, Marcel Langer, juif polonais, ouvrier métallo à Toulouse, ancien des Brigades Internationales pendant la guerre d’Espagne, crée la 35e Brigade F.T.P.-M.O.I. Parce qu’il appartenait à la 35e Brigade Internationale de mitrailleurs en Espagne, il propose que la Brigade se dénomme 35e Brigade M.O.I. Capturé le 5 février 1943, il est condamné à mort le 21 mars et guillotiné à la prison Saint Michel de Toulouse le 23 juillet de la même année. En son honneur la Brigade est renommée 35e Brigade Marcel-Langer. Enzo Lorenzi, dit « Robert le blond » devient le chef d’un détachement de la 35e Brigade Marcel-Langer, qui arrive à Castelnau-sur-l’Auvignon le 12 juin 1944.

·         À la fin du mois de mai 1944, Hilaire doit faire préparer un terrain de parachutage d’armes. Par l’intermédiaire du Bataillon Néracais, il recrute des Républicains espagnols dirigés par Julian Carrasco. Ce groupe est rejoint par d’autres Espagnols. Tous ces Résistants espagnols s’installent à Castelnau-sur-l’Auvignon, le 7 juin 1944. Guerrero considère qu’il s’agit là d’une entorse aux directives de l’A.G.E. Il se présente le 17 juin à Castelnau-sur-l’Auvignon accompagné de représentants de cette organisation et du commandant André Charles, chef du bataillon F.T.P. Gaston. Fin politique, il comprend tout l’avantage qu’il peut tirer d’une collaboration avec le chef du réseau anglais. L’attitude de Hilaire est réciproque. Il reconnaît que cette synergie peut bénéficier grandement à la Résistance.

·         Camilo dispose d’un effectif avoisinant les 350 hommes dans cette partie du Gers. Pragmatique, il a fait le choix de se rapprocher de Hilaire, sans lâcher Parisot. Ce qui lui permet d’augmenter sa force de frappe.

Les événements du 20 juin 1944 à Francescas

Depuis le 6 juin, jour du débarquement en Normandie, l’activité des Résistants autour de Castelnau-sur-l’Auvignon n’échappe certainement pas à la surveillance de l’ennemi. En effet, quelques 400 maquisards sont présents dans ce secteur du Gers.

Camilo envoie en mission 6 hommes en direction du Néracais. L’opération est risquée car les Allemands sont partout. Vers 11 heures du matin, un convoi allemand composé d'une vingtaine de véhicules, prend position dans Francescas et dans le moulin, voisin du village. De leur côté, les guérilleros passent devant le village, et s’engagent sur la route de Nérac, mais un barrage allemand les bloque. Les Espagnols commencent à tirer en s’extrayant de leur voiture mais une mitrailleuse allemande, installée dans le moulin, en fauche 5 : Vicente DALLA BENLUCE, José MANCHANTE, Ramon PENILLA, Julian RAMIRO ANADON et Tomas SAN ANTONIO. Le sixième, Eusebio SALEGUI, réussit à s’enfuir. Dans un champ en cours de labour, il aperçoit un homme qui abandonne précipitamment son attelage de vaches. Il prend la place du laboureur et parvient à disparaître dans la campagne. Vers 15 heures, Camilo est informé de la tuerie. Il se rend à Francescas et découvre 5 cadavres mutilés, allongés dans la Mairie du bourg. Il les ramène à Castelnau-sur-l’Auvignon pour leur rendre les derniers honneurs. Aujourd’hui, Ils reposent au cimetière de Condom. Bien plus grave pour la suite, il ne retrouve pas son ordre de mission dans les vêtements du chef de patrouille Julian Ramiro Anadon. Cela signifie que les Allemands connaissent maintenant le lieu exact où les Résistants sont installés.

En fin d’après-midi, Camilo et Hilaire sont certains que l’attaque allemande sur leur refuge est imminente. A cet effet, Camilo installe une vigie sur la route d'Agen à Condom, après Scieurac. La consigne pour la sentinelle est simple, il doit tirer une rafale de mitraillette dès qu’il aperçoit les Allemands. Des postes avancés de guérilleros sont disposés sur le plateau dans le but de freiner l’avance des assaillants. L’évacuation de la population civile est aussi envisagée. La 35e Brigade Marcel-Langer est appelée à la rescousse, de même que le Bataillon de l’Armagnac.

Les événements du 21 juin 1944 à Castelnau-sur-l’Auvignon

Vers 7 heures du matin, Camilo entend, au loin, le crépitement d’une mitraillette. C’est le signal de l’arrivée d’une colonne allemande. A bord de nombreux camions, fortement armés, environ 500 soldats de la Wehrmacht sont déjà sur le plateau de La Romieu, en direction de Castelnau-sur-l’Auvignon. Les postes avancés permettent de contenir les Allemands jusqu’à midi avec l’aide des Italiens qui se lancent dans la bataille. Sous l’effet du nombre d’Allemands, les Résistants reculent lentement vers le village. Il faut absolument éviter l’encerclement et conserver la route de Condom ouverte. L’expérience de ce genre de combat, acquise en Espagne, permet aux Espagnols de laisser du temps à Hilaire pour faire évacuer, vers Condom, les quelques civils encore présents dans le bourg. Le Bataillon de l’Armagnac n’est toujours pas arrivé et la situation devient de plus en plus critique.

Avant de se replier, les Résistants prévoient de faire sauter le maximum d’édifices avec les armes reçues par parachutage et emmagasinées dans la tour médiévale. Des grenades sont disposées dans différents bâtiments, des amorces sont activées autour des munitions conservées dans la tour. Lorsque les Allemands sont à moins de cent mètres de la place centrale, et après avoir vérifié que tous les Résistants ont quitté les lieux, Camilo, Hilaire et l’agente de liaison s’engouffrent dans une voiture pour partir en direction de Condom. Roulant à tombeau ouvert, ils entendent les explosions qui détruisent la tour et les maisons tout en déclenchant de nombreux incendies.

Pour les Résistants, le 21 juin est une défaite. Ils ont perdu leur PC et leur précieux stock d’armes. Quatre Résistants français, André COUCUSSAUTE, Etienne FLORENSAN, Pierre RENGADE, Pierre SARDA, et sept Guérilleros espagnols, Juan ALVAREZ SANCHEZ, Miguel Jesús HERRERA, Salvador HERNANDEZ GARCIA, Alfonso MARTINEZ VAQUERO, José Maria ORTEGA FONSECA, José VALIENTE MURILLO ont trouvé la mort. Vingt-neuf combattants, essentiellement Espagnols, sont blessés. L’un d’eux, Salvador TORRES meurt des suites de ses blessures, le 19 août 1944. Il y a également trois victimes civiles : Stanislas PISKALDO, Constantino QUINTILLA et Charles CASTEX. Les Allemands ont fait deux prisonniers amenés à Auch. Louis PROUADERE est fusillé et le gendarme BOURRUST est délivré, lors de son séjour à l’hôpital, par la Résistance.

Les commémorations

·         A Francescas, Le 9 décembre 1945, à l’endroit où les cinq Républicains espagnols sont tombés dans leur combat contre le fascisme, une stèle a été inaugurée en présence de Daniel LABORDE, Maire de la commune, du Sous-préfet de Nérac et de 500 personnes dont 225 Républicains espagnols. La route de Lasserre sur laquelle se trouve cette stèle a été ensuite rebaptisée « Chemin des Espagnols ». Depuis cette date, le 20 juin de chaque année, une cérémonie se déroule devant ce monument, en souvenir de leur sacrifice.

·         Castelnau-sur-l’Auvignon a été détruit par les explosions. La mairie-école et plusieurs fermes ont été incendiées. En 1951, après la reconstruction du bourg,  un monument en forme de péristyle est édifié. Chaque 21 juin, une commémoration est organisée pour rappeler le sacrifice du village et des Résistants de toutes nationalités pour la libération de ce secteur du Gers.

·         Une stèle a également été édifiée au cimetière de Condom en l’honneur des victimes de Francescas et de Castelnau-sur-l’Auvignon. Un hommage leur est rendu chaque année, le 21 juin.

 

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