04-2 - Fumel - la SMMP


 

Des Républicains espagnols à la SMMP de Fumel[1]

Pourquoi une usine métallurgique à Fumel ?

Au milieu du XIXe siècle, la région fuméloise présente quelques particularités notables. Elle est l’héritière d’une longue tradition métallurgique et artisanale présentes dans la vallée de la Lémance depuis le Moyen-Age.

 

La révolution des transports par fer débute au cours de la monarchie de Juillet. Dans notre région, elle est à l’origine d’un projet de création d’une ligne de chemin de fer entre Bordeaux, Toulouse et Marseille. Il est mis sur pied en 1846 et agrège autour de lui les appétits féroces des investisseurs les plus divers et parfois sans scrupules. Le besoin de milliers de tonnes de rails en fonte les amène à prospecter toutes les sources possibles en minerai de fer, charbon et calcaire pour mener à bien la mise en service des lignes Bordeaux- Agen (1856), Agen-Périgueux (1863), Agen- Auch (1865) et Monsempron-Libos-Cahors (1869).

 

Le village de Fumel répond aux attentes puisqu’il est idéalement situé sur la rivière Lot. L’eau pourra servir au refroidissement et à l’évacuation des scories des futurs haut-fourneaux. En outre, cet axe fluvial relie le port de Bordeaux au cœur du Massif-Central grâce à la navigation des gabarres. Par ce biais, le coke issu du charbon extrait dans les mines aveyronnaises pourra ainsi remplacer avantageusement le traditionnel charbon de bois tiré des forêts avoisinantes. La présence de minerai de fer en grande quantité, sous forme de nodules présents sur son sol et dans son sous-sol dans un rayon de vingt kilomètres, ajoutée aux carrières de calcaire pour l’obtention de la castine sont deux autres facteurs majeurs.

 

La Société Benoist d’Azy, Drouillard, Léon Valès et Compagnie est fondée en 1847. Elle est implantée au lieu-dit Métairie-Basse, sur un terrain de dix hectares, acheté à un fumélois, le baron de Langsdorff. Elle exploite le minerai de fer local dans deux hauts fourneaux pour élaborer quotidiennement quarante tonnes de fonte grise transformées en matériel ferroviaire.


Enfin, les appétits des financiers et des politiques du Second-Empire dépassent largement les intérêts locaux. L’entreprise est rachetée par « Grand-Central » en 1854. Cette société ambitionne d’équiper en voies ferrées la zone au Sud d’une ligne allant de Lyon à Bordeaux et jusqu’aux Pyrénées. A la suite des guerres financières menées par le Duc de Morny, la chute de Grand-Central, en 1856, remet l’usine de Fumel entre les mains de la « Compagnie des Chemins de Fer Paris-Orléans » (PO), son client principal. Mais Le traité de libre-échange signé entre la France et l’Angleterre provoque l’effondrement des ventes et l’arrêt des haut-fourneaux en 1860. Rachetée en 1864 par la Société de la Vienne, elle passe sous le contrôle, en 1874, de la Société Métallurgique du Périgord (SMP), créée spécialement pour reprendre les activités des fonderies de Fumel, de Duravel et de l’usine de Bacalan à Bordeaux. La SMP réoriente la production en procédant à d’importants investissements. En 1903, elle emploie 1 200 personnes, et sous l’impulsion d’Auguste Barthe, fabrique des tuyaux pour l’adduction d’eau ainsi que diverses pièces destinées au mobilier urbain.


La Première Guerre Mondiale modifie sensiblement la nature des produits fabriqués. Les obus pour l’artillerie remplacent les produits classiques. Le recours à la main-d’œuvre féminine permet de faire face au départ des appelés sous les drapeaux. Les effectifs atteignent jusqu’à 3 000 personnes pendant cette période. La perte de la production d’obus et le changement technologique dans le mode de fixation des rails sur les traverses dans les années 1920 met l’usine en difficulté. En 1928, la « Société des Fonderies de Pont-à-Mousson » (PAM), premier producteur français de tuyaux, devient l’actionnaire majoritaire de la SMP, le deuxième producteur de tuyaux. A partir de 1933, PAM intègre dans la SMP diverses sociétés minières et métallurgiques du Massif-Central et des Pyrénées. En même temps, PAM investit dans la modernisation de l’outil de production et lance la construction d’un barrage hydro-électrique sur le Lot, achevé quelques semaines après la libération de 1944. Le 26 décembre 1940, PAM transforme la SMP en Société Minière et Métallurgique du Périgord (SMMP).

 

Les Espagnols dans le département de Lot-et-Garonne et à la SMMP – 1939-1940

Après la Retirada, la présence des réfugiés espagnols dans le Lot-et-Garonne est relativement modeste. Elle se compose d’environ trois mille personnes, toutes classes d’âge confondues. Outre leur présence attestée dans l’Agenais, le Lavardacais, et le Villeneuvois, Fumel compte la plus forte communauté masculine d’exilés espagnols. Au cours de la « Drôle de Guerre », plus précisément, de novembre 1939 à juillet 1940, plus de quatre-cent cinquante Espagnols sont « recrutés » par la SMP dans le camp de concentration de Septfonds (Tarn-et-Garonne). Ils sont intégrés dans une Compagnie de Travailleurs Etrangers (CTE). Ils compensent la perte de la main-d’œuvre locale, mobilisée sur la frontière de l’Est de la France. Leurs conditions de vie ne sont guère meilleures que celles qu’ils ont laissé au camp. A part les repas plus copieux, pris à la cantine de l’usine, ils logent soit dans des wagons désaffectés, posés sur pilotis, soit dans des magasins désaffectés, sorte de baraques en bois. Leur couchage est composé d’une simple paillasse et d’une couverture. Ils ont à leur disposition de grands bacs contenant de l’eau froide et à l’air libre pour leur toilette matinale. Ils sont répartis en deux équipes de travail, une de jour et l’autre de nuit.

A l’extérieur de l’usine, Ils sont confinés dans un espace délimité par la rivière Lot au Sud et par une ligne imaginaire partant de Libos, passant par la barrière SNCF de ce village et se terminant à la limite Est de Fumel, Condat exclu. Si un exilé espagnol est trouvé hors de cette zone, il est considéré comme un insoumis et un déserteur. Il est expédié au camp disciplinaire du Vernet-d ’Ariège. En tant que membre d’une CTE, un Espagnol est assujetti au règlement militaire en vigueur pour les appelés français de plus de dix-huit ans et de moins de cinquante ans.

Pendant la Drôle de Guerre, la production de la SMP est essentiellement destinée à l’artillerie française sous forme de tubes d’obus en fonte. Lorsque la France s’effondre en juin 1940 et quelques jours après la signature de l’armistice, soit le 6 juillet, la SMMP renvoie les Espagnols au camp de Septfonds.

Les Espagnols de retour à l’usine – 1941

La fin des hostilités entre la France et l’Allemagne, entérinée par un armistice, n’autorise pas le retour des ouvriers Fumélois à leur poste de travail dans l’usine. Ils font partie des un million et demi de prisonniers de guerre retenus dans les stalags allemands. Quand la SMMP se remet à produire des tubes d’obus, cette fois-ci pour l’Allemagne et après que le gouvernement de Vichy transforme les anciennes CTE en Groupements de Travailleurs Etrangers (GTE), l’usine retrouve les Républicains espagnols.

Le GTE 505 à Fumel
La direction du GTE 505 est installée dans des locaux de la SMMP. Créé en novembre 1941, il sera fermé en juillet 1944. Ses effectifs, en novembre 1941, s’élèvent à 805 personnes. Ils décroissent tout au long de son existence. En février 1942, 599 travailleurs étrangers sont inscrits sur les listes du GTE. Les Espagnols constituent le gros des troupes. En août 1942, sur 556 travailleurs recensés, 504 sont des Espagnols, le reste appartient à d’autres nationalités. En juin 1943, il reste encore 341 étrangers dont 325 Espagnols.

Tous ces étrangers ne travaillent pas pour la SMMP. Un petit nombre d’entre eux est employé dans une quarantaine d’établissements artisanaux, commerciaux ou agricoles. En ce qui concerne la SMMP, le préfet de Lot-et-Garonne reproche au directeur de l’usine de ne pas respecter les consignes en matière d’embauche, ce qui complique la surveillance policière. Cette situation favorise les évasions. Tout au long de la durée de vie du GTE, une centaine de travailleurs s’est fait la belle.

La vie quotidienne des travailleurs étrangers à cette époque n’est pas très différente de celle qu’ils ont connue avec l’ancienne CTE. Leur nombre important sur le territoire provoque une crise aigüe du logement. Les baraques en bois et les wagons sont toujours occupés dans l’enceinte de l’usine mais ne suffisent pas. Certains travailleurs disposent d’un logement chez des particuliers, dans Fumel ou les environs. Leurs déplacements ne sont plus limités géographiquement mais ils continuent à être surveillés de très près et fichés si nécessaire. La suspicion de la part des autorités et d’une partie de la population est leur lot quotidien. Les Renseignements Généraux disposent d’une antenne fuméloise. Il en va de même pour la police spéciale de Pétain ainsi que pour la Gestapo qui est installée dans un immeuble, aujourd’hui disparu, sur la place Gambetta de Fumel. 

De la solidarité communautaire à l’action politique

Rien d’étonnant à ce que les Espagnols, empreints des idéaux de leur République perdue, mettent en place un outil assurant la solidarité et l’entraide. Dès l’été 1940 à Villeneuve-sur-Lot, ils créent dans cette bastide un collectif d’entraide chargé de porter secours matériellement et moralement aux réfugiés espagnols en détresse profonde


Très vite, le collectif va se trouver à la croisée des deux principaux courants de la Résistance française naissante : les gaullistes et les communistes. Toujours dans la clandestinité, les Espagnols apportent aux Français leur expérience des combats. Les affinités politiques favorisent les échanges entre les Espagnols et le Parti Communiste Français (PCF). Cette proximité est à l’origine des premiers maquis, comme celui de la Torgue, à Varès, à l’Est de Tonneins. Parmi les maquisards, figure l’un des futurs membres de notre association : Jaime Olivés Cañada.


Dans l’esprit des réfugiés républicains, persiste l’idée qu’il ne faut pas abandonner le sort de l’Espagne aux franquistes. Les activités associatives qu’ils développent localement les conduisent à créer une organisation secrète dont l’objet est d’apporter leur aide à leurs frères restés en Espagne. Ils nomment cette structure « Union Nacional Española » (UNE). Initiée par des communistes espagnols, elle se propose de rassembler toutes les obédiences politiques hostiles à Franco. Si les autres partis politiques et syndicats en exil n’adhèrent pas au projet, leurs militants n’hésitent pas à rejoindre, en nombre mais à titre individuel, la UNE. En plus des communistes, on y trouve des anarchistes, des libertaires, des socialistes et de simples républicains. Le Lot-et-Garonne devient, en importance, le deuxième département français à œuvrer pour la UNE sous la direction de Cecilio Arregui Giménez, un Basque installé avec sa famille à Monflanquin. Arregui Giménez est un officier de l’armée républicaine espagnole et dirigeant du Parti Communiste Basque. En Lot-et-Garonne, il dirige le Parti Communiste Espagnol. La UNE recrute parmi les nombreux exilés espagnols de Fumel ainsi que parmi les immigrés économiques venus d’Espagne à la fin du XIXe et au début du XXe siècle. Certaines caves des logements espagnols de l’avenue de l’Usine deviennent des lieux de réunions clandestines très animées.

L’expansion de la UNE sur tout le territoire français est facilitée par la création préalable de cellules de base locales. C’est, à la fois, sa force et sa faiblesse. Car les appareils répressifs de Vichy, alliés de Franco, ne restent pas inactifs. Ils s’emploient à surveiller très étroitement et à retourner des membres de cette nébuleuse qui a besoin de visibilité pour attirer à elle toujours plus de sympathisants pour créer et financer une force capable de repartir au combat en Espagne, le moment venu.

Du 6 au 10 juillet 1942, débute à Fumel une vague d’arrestations qui s’étend sur neuf départements voisins

Le 6 juillet 1942, de bonne heure, José Oncino Torres quitte Villeneuve-sur-Lot. Il doit parcourir une vingtaine de kilomètres pour rejoindre Fumel. Son seul moyen de transport est une bicyclette. Il doit pédaler pour arriver à l’heure à son poste de travail où il est employé comme maçon. Malencontreusement, une crevaison arrête sa course. Il est obligé de continuer à pied tout en poussant son vélo. Avant de franchir la porte de son entreprise, il laisse sa bicyclette, pour réparation, au garage Troupel. L’apprenti, chargé de réparer la crevaison, cède à sa curiosité et fouille le contenu de la sacoche accrochée au vélo. Dans un tube métallique, il découvre des feuilles de papier. Ce sont des tracts rédigés manuellement et en espagnol. Le titre « Reconquista de España » barre le haut de la première page. L’employé remet ces documents à son patron qui lui-même les remet à la gendarmerie de Fumel. La réaction de l’artisan peut s’expliquer par le fait qu’il a appris que dans la nuit des papillons ont été collés à Fumel dans la rue du Barry et dans l’avenue de l’Usine. Ces affichettes tentent d’alerter la population fuméloise du risque encouru par les Espagnols de se voir envoyés en Allemagne. De manière prémonitoire, ils préviennent qu’après les Espagnols ce sera le tour des Français.

Au début de l’après-midi du 6 juillet, quatre gendarmes fumélois se rendent chez Troupel. Au même moment, un Espagnol, Agustin Perez Paez, est présent dans l’atelier. Interrogé et fouillé, les gendarmes ne découvrent rien de compromettant sur lui. Méfiants, ils décident de perquisitionner son logement. Au domicile d’Agustin, ils trouvent Antonio, son frère.  Au cours de la perquisition, les gendarmes découvrent deux autres exemplaires de « Reconquista de España ». Agustin profite alors d’un moment d’inattention pour s’enfuir en direction de la rivière Lot. Poursuivi, il se jette à l’eau, traverse à la nage sous des coups de feu puis disparait dans la nature au niveau de la commune de Montayral.

L’opération impromptue menée par la gendarmerie ne fait pas l’affaire d’un inspecteur de la police spéciale, installé à la mairie de Fumel. Depuis des mois, cet homme s’occupe de surveiller les agissements de divers Républicains espagnols du secteur. Un rapport remis par l’inspecteur aux Renseignement Généraux d’Agen, en date du 2 juillet 1942, tend à prouver que Fumel pourrait être une plaque tournante du commandement de la résistance communiste espagnole. Il donne l’identité, sans avoir pu les localiser précisément, de trois ou quatre personnages potentiellement impliqués dans le réseau.

Immédiatement averti par la brigade de Fumel, l’inspecteur comprend très vite que son travail d’investigation risque d’être ruiné par l’action des quatre gendarmes. Il décide d’aller arrêter Aquilino Asenjo Terreros sur son lieu de travail, à l’usine de Fumel. Selon l’inspecteur, Asenjo est le responsable fumélois de la cellule locale du PCE. En fin d’après-midi du 6 juillet, il est entre les mains de la police. Un tract appelant à ne pas aller travailler en Allemagne est découvert sur lui. Les interrogatoires « musclés » des interpelés ne permettent pas d’obtenir plus de détails. Mais, une liste de noms découverte sur un carnet appartenant à Asenjo et des recoupements d’informations permettent aux services de procéder à l’arrestation de vingt-trois Espagnols dans neuf communes du département. Au regard de ces arrestations, la police se convainc qu’à Fumel le fonctionnement de « Reconquista de España » est à l’initiative du PCE avec en appui des anarchistes et quelques républicains de gauche tels des socialistes.

Les personnes arrêtées appartiennent en majorité au GTE 505 de Fumel et au GTE 536 de Casseneuil. L’inspecteur de police spéciale met en évidence l’action politique clandestine en relation avec l’Espagne. Dans son rapport, l’inspecteur déclare qu’Aquilino Asenjo Terreros s’apprêtait à partir pour l’Espagne avec un autre de ses codétenus pour y poursuivre ses activités politiques. 

Liste des sept Espagnols arrêtés du 6 au 8 juillet 1942 à Fumel parmi vingt-trois dans le Lot-et-Garonne

Arrestation

Identité

Lieu et date de naissance

Domicile

Emploi

GTE

06/07/1942

Alonso Criado Magin

Tiedra, Valladolid, 10/09/1915

Fumel

Manœuvre

505

06/07/1942

Asenjo Terreros Aquilino

Madrid, 01/08/1916

Fumel

Ajusteur

505

06/07/1942

Ferrero Miranda Tomas

Zamora, 23/12/1919

Fumel

Manœuvre

505

06/07/1942

Martinez Mur Mario

Saragosse. 11/03/1919

Fumel

Manoeuvre

505

06/07/1942

Perez Paez Antonio

Madrid, 22/05/1916

Fumel

Maçon

505

10/07/194

De la Casa Hidalgo Santiago

Madrid. 26 juillet 1913

Fumel

Manœuvre

505

06/07/1942

Martinez Marin Juan

Jumilla, Murcia, 08/05/1909

Libos

Manœuvre

505

Les infractions retenues par la police établissent que ces Espagnols se livrent à la diffusion de tracts d’inspiration étrangère d’origine communiste. Elle déclare avoir démantelé un comité local dénommé « Reconquista de España ». Effectivement, le but avoué par les inculpés est le rassemblement des réfugiés républicains espagnols autour d’un projet de rétablissement de la République en Espagne. Toujours d’après la police, l’instigateur de cette organisation serait le docteur Juan Negrin, réfugié à Londres et chef du gouvernement de la République espagnole en exil.

Les arrestations de l’automne 1942

L’inspecteur des Renseignements Généraux dans le fumélois reste persuadé que les arrestations de juillet n’épuisent pas la possibilité de découvrir d’autres complicités espagnoles participant au réseau local. Dès août 1942, il signale au tribunal judiciaire de Toulouse la poursuite d’activités subversives dans le villeneuvois/fumélois.

A la suite des enquêtes de terrain diligentées à partir du 25 octobre 1942 par le tribunal toulousain, quatorze arrestations sont effectuées entre le 6 et le 10 novembre 1942 à Casteljaloux, Marmande, Monflanquin, Villeneuve-sur-Lot, dont six dans le secteur de Fumel et ses environs.

Liste des six Espagnols arrêtés du 6 au 10 novembre 1942 à Fumel parmi quatorze dans le Lot-et-Garonne

 

Identité

Date de l’arrestation

Localité

Date de naissance

Lieu de naissance

GTE

Plaza Fernandez Antonio

07/11/1942

Fumel

15/04/1916

Madrid

505

Villela Lopez Narciso

07/11/1942

Fumel

29/10/1904

Alquerias Murcia

505

Sra Castro Feito Nieves

08/11/1942

Fumel

06/04/1918

Oviedo


Sra Moja Molina

08/11/1942

Trentels

14/05/1918

Saragosse


Moron Rueda Patricio

08/11/1942

Fumel

17/03/1891

Orihuela del Tremedal, Teruel


Marttn Alexandro Maximo

10/11/1942

Saint-Vite

04/09/1913

Madrid

505

 

Deux militants de la UNE dans le fumélois

Aquilino Asenjo Terreros

Asenjo Terreros est bien plus qu’un responsable local. Il est l’un des dirigeants du PCE pour le Lot-et-Garonne et un des responsables lot-et-garonnais de la UNE. Condamné à dix ans de travaux forcés, il est emprisonné en décembre 1942 à Nontron en Dordogne. Le 1er mai 1944, une attaque de la prison par les FTPF lui rend la liberté et il rejoint aussitôt les Guérilleros espagnols dans le maquis « Carlos » du Catalan Carles Enric Ordeig puis il part dans le Gers où il crée un maquis de guérilleros espagnols. Après avoir combattu l’occupant nazi, il participe le 20 août 1944 au défilé de la victoire à Agen avec le grade de capitaine.

Une fois la libération du Sud-Ouest de la France achevée, Asenjo part pour Toulouse afin de se joindre à l’opération militaire en préparation et dont il rêve depuis si longtemps : la Reconquista de España. La stratégie élaborée par la UNE consiste à profiter de l’isolement géographique du Val d’Aran par rapport au reste de l’Espagne. Cet isolement doit permettre d’établir un gouvernement provisoire, et de tenir jusqu’à l’arrivée des Alliés ce qui devrait entrainer la chute du régime Franquiste.

Asenjo passe la frontière espagnole le 30 septembre 1944. Le 19 octobre suivant, quatre à sept mille guérilleros sous la direction du lieutenant-colonel FFI Vicente López Tovar, franchissent la frontière du Val d’Aran. Les Alliés tant attendus ne leur accordent aucune assistance car la victoire sur les forces de l’Axe n’est pas encore acquise. Le soulèvement de la population espagnole n’a pas lieu. Sans soutien et sans armement lourd, les guérilleros sont trop peu nombreux pour faire face aux forces franquistes dépêchées très rapidement. Certaine de subir un cuisant échec, la direction communiste prend la décision de battre en retraite le 27 octobre 1944.

Asenjo est capturé le 27 novembre de la même année. Condamné à 30 ans de prison, il est mis en liberté conditionnelle en 1959. Il échappe à la surveillance des franquistes et revient en France pour s’établir dans la région lyonnaise où il décède en 1998.

Nieves Castro Feito

Comme toutes les filles de la classe moyenne, elle est scolarisée dans une institution religieuse jusqu’à l’âge de douze ans. Les sœurs prennent soin de lui inculquer la haine des anarchistes. Elles lui apprennent que ce sont des criminels puisqu’ils ont assassiné Alexandre III, le Tzar de Toutes les Russies. Or, en 1930, une véritable déflagration bouleverse sa vie d’adolescente : elle apprend que José Maria, son frère aîné, alors âgé de seize ans, vient d’être arrêté à Valladolid pour activité anarchiste en compagnie d’autres camarades. Cette nouvelle fait l’effet d’une bombe dans la famille de Nieves : des anarchistes, des criminels selon les religieuses, tentent de renverser la monarchie espagnole. Elle finit par apprendre de la bouche de son frère adoré qu’il est en réalité un communiste encarté aux Jeunesses Communistes. Cette période est pour lui une interminable succession d’arrestations et de clandestinité. Nieves essaie, avec ses faibles moyens, d’apporter réconfort et aide à ce frère incompris de leur mère, horrifiée par sa conduite contraire aux valeurs catholiques.

La révolte des mineurs asturiens d’octobre 1934[2] constitue un véritable choc traumatique pour Nieves. Son cousin Augustin âgé de vingt-trois ans, dirigeant des Jeunesses Communistes du bassin minier de Sama de Langreo, est enterré vivant, en compagnie de vingt-trois autres jeunes, dans les collines de Carbayin par les militaires venus spécialement du Maroc espagnol.

A la suite de cet événement, elle fait le constat qu’il n’est plus possible de laisser dans la misère la plus grande partie du peuple espagnol. Elle se convertit au romantisme révolutionnaire en lisant la biographie de Lénine.

Le triomphe des forces de gauche aux élections de février 1936 et la mise en œuvre du programme du Frente Popular entraînent un enthousiasme populaire vite réprimé par les forces réactionnaires lors de la tentative de coup d’Etat de juillet 1936 et de la guerre civile qui suit.

Le 18 juillet 1936, le frère de Nieves essaie de s’opposer au coup d’Etat. Avec ses camarades, il entre dans la cour de la caserne de la Garde d’Assaut d’Oviedo pour réclamer des armes. En guise d’armes, il reçoit quatre balles … qui criblent son corps. Blessé, il est hospitalisé puis fusillé avec dix-sept camarades le 23 décembre 1936 après être passé en conseil de guerre.

Avec la prise de contrôle de la ville d’Oviedo par les phalangistes, c’est le début des meurtres de masse, des privations de liberté, de nourriture... Ceux qui n’ont pas réussi à quitter la ville sont pourchassés et arrêtés pour être fusillés. Ces épreuves renforcent les convictions politiques de la jeune Nieves. Le 10 août 1936, elle décide de rompre avec sa vie petite bourgeoise et quitte sa famille pour rejoindre les rangs des miliciens républicains.

Les revers subis par les troupes républicaines, sous la pression des franquistes arrivés de Galice, font échoir Nieves à Gijón. Elle est chargée de tâches administratives et assiste aux cours de science politique dispensés à l’attention de la jeunesse.

Les munitions commencent à manquer. Les bombardements de l’aviation allemande sont incessants. Nieves participe à l’accueil des réfugiés basques et Cantabres qui affluent en masse suivis des milices républicaines qui ont perdu pied face aux assauts des fascistes venant de Navarre et de Castille. Les difficultés pour nourrir cette foule sont innombrables.

Acculés au bord de la côte cantabrique, les républicains sont poussés à évacuer d’urgence les civils puis les militaires. Le 20 octobre 1937, les premiers peuvent embarquer sur des bateaux ancrés dans les ports de Gijón et d’Avilés. Il ne reste pour les seconds que quelques cargos et des bateaux de pêche. Nombreux sont ceux qui sont capturés par les fascistes ou qui périssent noyés. Faute de place, beaucoup restent sur les quais à la merci des phalangistes. Sans solution de fuite par le port de Gijón, Nieves réussit à rejoindre le port d’Avilés. Tous les bateaux ont pris la mer. Nieves et ses quatre compagnons de fuite trouvent un minuscule bateau de pêche dans un petit port voisin et en fin d’après-midi du 21 octobre 1937 quittent les Asturies. La coquille de noix emporte cent-trente-cinq personnes sous les cris désespérés de ceux qui restent à quai.

Arrivé en haute mer, le bateau se met à tanguer sous l’effet d’une forte houle et du poids excessif de l’embarcation. Les passagers sont obligés d’écoper pour éviter le chavirement. La tension est extrême. Deux passagers cèdent à la panique, l’un devient fou et l’autre se jette à l’eau. Sans nourriture, à court de combustible, sous le coup d’une erreur de navigation suivi d’une tentative de mutinerie, le bateau arrive, trois jours plus tard, au port vendéen de Saint-Gilles-Croix-de-Vie.

Si le gouvernement français du Front Populaire, soumis à la politique de non-intervention dans le conflit espagnol, refuse la présence sur son sol de militaires républicains espagnols en armes, il n’en va pas de même avec la population locale. Elle leur offre cinq jours de repos avant de prendre le chemin de Barcelone par le train.

Arrivée à Barcelone, Nieves trouve un emploi au ministère de l’instruction publique puis dans d’autres administrations. Elle note une grande différence entre le mode de vie de Gijón où tout était compliqué à obtenir et celui de la capitale catalane où tout semble facile.

Cinq mois plus tard, elle épouse un camarade qui l’a accompagné lors de l’odyssée depuis les Asturies jusqu’à Barcelone. La guerre commence à faire sentir ses effets. Les pois chiches noirs et les lentilles deviennent le met quotidien.

Les premiers bombardement aériens obligent Nieves à souvent chercher refuge dans le métro. Le bruit des sirènes et les nuits sans sommeil font maintenant partie du quotidien. Le 18 mars 1938, elle échappe par miracle aux bombes lâchées par les avions allemands ou italiens. Tout n’est plus que désolation près de l’hôtel Colon où se trouvent les locaux où elle travaille. Les cadavres démembrés jonchent le sol, les bâtiments sont détruits ou soufflés.

Sur la route de l’exil, elle se retrouve sous les bombardements de l’aviation allemande à Figueras avant de passer la frontière française à Port-Bou le 8 février 1939. Elle est parmi les milliers de femmes, d’enfants et de vieillards tous affamés et frigorifiés. Ils montent à bord de trains surchargés. Le voyage en direction d’Epinal dure deux jours dans des wagons dont les issues sont fermées à clef.

Enceinte, Nieves est consignée dans une « maternité » dirigée par une gynécologue qu’elle compare à une nazi tant elle manque d’empathie. L’inimitié de cette gynécologue à l’égard de Nieves est telle que cette dernière est privée de repas pendant neuf jours alors qu’elle est dans son septième mois de grossesse. Deux jours avant la fin de sa peine, Nieves est conduite dans un centre d’accueil réservé aux Espagnoles près d’Epinal. Sa réputation de rebelle la fait considérer par les autorités françaises comme un danger pour la sécurité publique. Elle est accusée de développer des germes rouges très contaminants.

Malheureusement, ce centre est brutalement fermé par ordre préfectoral et les femmes enceintes doivent être dirigées vers la fameuse maternité honnie par Nieves. Par chance, les responsables du centre, au courant des mauvais traitements reçus, réussissent à envoyer Nieves à Saint-Dié. Elle conserve de ce lieu un très bon souvenir, en particulier celui d’habitants très attentionnés à son égard. Le 19 août 1939, elle donne naissance à sa première fille, Marina.

Nieves est encore dans la maternité lorsque la France déclare la guerre à l’Allemagne. A sa sortie de la maternité, elle est emmenée au camp disciplinaire de Bruyères. C’est une ancienne caserne insalubre. Comme elle est la dernière arrivée et qu’il n’y a plus de place, elle doit se contenter de l’étable où elle peut s’allonger avec son bébé sur un peu de paille.

C’est dans ce camp qu’elle apprend l’interdiction du Parti Communiste Français à cause de la signature d’un pacte entre Hitler et Staline. Elle apprend aussi que l’armée française va récupérer le camp et que par conséquent les internées vont devoir repartir vers le Sud de la France. Les autorités françaises leur proposent deux alternatives : aller dans un camp de concentration comme celui d’Argelès-sur-Mer ou rentrer en Espagne. Nieves milite auprès de ses codétenues pour rester en France.

Embarquées dans un train, elles arrivent à la gare de Perpignan mais le convoi ne s’arrête pas. A petite vitesse, il continue vers la frontière espagnole. Les passagères se ruent vers les issues de sortie, fermées à clef, et les fenêtres en criant : « On ne veut pas aller en Espagne ! Avec Franco Non ! Au camp ! ». Nieves réussit à s’extraire du train et au moment de récupérer son bébé, le convoi redémarre brusquement. Les cris et les lamentations de toutes les mères qui sont dans la même situation que Nieves oblige à l’arrêt du train. A cet instant, elle comprend la douleur endurée par les femmes quand leurs enfants se sont perdus au cours de la Retirada.

Sur le quai de la gare, des agents espagnols leur proposent de nouveau le même choix : la sécurité en Espagne ou les frimas de l’hiver sur les sables d’Argelès-sur-Mer. Tout le convoi, sauf deux sœurs souffrantes, choisit les assauts de la Tramontane.

Après une semaine passée à la belle étoile et à même le sable du camp n° 8, Nieves et sa fille trouvent refuge dans une barraque Adrian du camp n° 9. L’absence d’eau chaude pour baigner sa fille, pousse Nieves et une de ses amies à fabriquer un brasero avec de la tôle ondulée de récupération. La nuit venue, elles volent du charbon et le font brûler dans leur poêle improvisé. Ce qui leur permet de chauffer la barraque, d’avoir de l’eau chaude et de préparer une soupe avec de l’eau, un peu de pain et du suif normalement destiné à l’éclairage. Le chef du camp n’a de cesse de jeter à bas le poêle et de menacer de renvoi en Espagne. Rien n’y fait, un nouveau brasero réapparaît presque aussitôt.

Par chance, Nieves a suffisamment de lait pour nourrir au sein sa fillette. Mais la majorité des femmes allaitantes ont du mal à nourrir leur progéniture. Nombreux sont les décès des enfants en très bas âge, dus au manque d’hygiène dans la confection de lait à partir de boites de lait concentré.

Un jour sur trois, l’ordinaire est fait à base de morue séchée et non dessalée. Lorsque Nieves récupère sa ration aux cuisines, le temps d’arriver à la barraque, la morue est pleine de sable.

Le principal danger dans le camp des femmes vient des gardes sénégalais. Leur comportement est particulièrement brutal mais pas seulement. Quand ils ont repéré une proie, ils encerclent, en pleine nuit, la baraque où se trouve leur future victime et tentent d’y pénétrer parfois avec succès. Certaines filles en font un commerce pour se procurer quelques aliments.

Une fois réalisées les tâches ménagères, il faut tuer le reste du temps. C’est alors l’occasion de se réunir dans des barraques pour faire connaissance, en réalité pour parler politique, chose qui peut provoquer le renvoi en Espagne.

Le manque d’alimentation équilibrée et l’allaitement fragilisent Nieves qui tombe malade. Elle est hospitalisée pendant quatre mois à l’hôpital de Perpignan. De retour au camp, ce dernier s’est vidé d’une grande partie de ses occupants. Au bout d’un mois – en mai 1940 – elle obtient l’autorisation de rejoindre son mari à Fumel.

A Fumel, les conditions de vie sont totalement différentes. Avec sa fille et son mari, elle habite dans une maison agréable située dans la cité ouvrière. Il y a un jardin, des fleurs, c’est un vrai foyer. Son mari, Ceferino Cueto Garcia[3], né à Villaviciosa dans la province d’Oviedo en 1909, est arrivé à la SMMP de Fumel le 29 décembre 1939 après être passé par les camps de concentration de Saint-Cyprien, Agde, Le Barcarès et Septfonds où il est recruté comme ajusteur-mécanicien.

Mais cette quiétude familiale dure un peu moins d’un mois. Le 5 juillet, la direction de la SMMP fait savoir à tous les Espagnols et étrangers qu’elle emploie qu’ils doivent reprendre le train le lendemain, de très bonne heure, pour repartir au camp de concentration de Septfonds. L’armistice entre la France de Pétain et les nazis étant signé, l’usine ne produit plus de tubes d’obus pour l’armée et donc estime ne plus avoir besoin de toute cette main d’œuvre.

Nieves insiste auprès de son mari pour ne pas répondre à l’injonction mais ce dernier craint des représailles et de fait la famille est condamnée à revivre les atrocités des camps de concentration. A Septfonds, le couple est séparé. Ceferino rejoint les hommes parqués au camp de Judes. Nieves et le bébé sont hébergées dans une ancienne caserne où règne la promiscuité. Là, on ne vit pas, on survit grâce aux topinambours, aux navets, aux 150 grammes de pain noir quotidien, aux rares pommes de terre et encore plus rares pâtes. Le bébé reçoit la même ration que sa mère avec un quart de litre de lait supplémentaire.

Nommé chef de salle, Nieves a la responsabilité d’organiser la vie en commun des femmes et des enfants. Pendant la semaine, la discipline est stricte, mais le dimanche, elles ont quartier libre pour aller retrouver leurs maris. Pendant un an, elle vit tant bien que mal. Elle trouve le moyen d’effectuer des travaux de couture pour améliorer la ration quotidienne. Cette ressource supplémentaire lui est utile pour aider sa meilleure amie, tombée malade. Ce qui lui permet de ne pas recourir au marché noir, devenu florissant.

Sur le plan politique, l’heure est à la solidarité et à la mobilisation. Le Parti Communiste Espagnol auquel Nieves appartient ne perd pas de vue le combat à mener en Espagne pour tenter de renverser le régime franquiste. Malgré le danger mortel d’une telle mission, nombreux sont les candidats qui se proposent pour repartir au combat en Espagne. Les exilés, hommes et femmes, dès 1940, commencent à s’organiser pour créer une structure unitaire. Dans les champs, les usines, là où il y a des Espagnols, naissent des cellules où l’on discute, où l’on planifie afin d’imaginer une Espagne libérée du joug franquiste.

Vient le moment où Vichy décide d’employer la main-d’œuvre entassée dans les camps au sein de Groupements de Travailleurs Etrangers. Le mari de Nieves, comme presque tous ceux qui ont déjà travaillé à Fumel fuit le camp en direction de la SMMP où il est repris comme ouvrier. C’est l’occasion pour les Espagnols de rentrer en contact avec la population française qui se montre peu hostile à leur endroit, contrairement aux autorités françaises en place.

La seconde fille de Nieves naît le 22 juin 1941, à l’heure où l'Allemagne envahit l'URSS avec 190 divisions, 5 000 avions et 3 500 chars. Cette nouvelle préoccupe la jeune mère. En tant que membre dirigeante du Parti Communiste Espagnol elle court le risque d’être arrêtée par la police de Vichy, comme viennent de l’être certains de ses camarades. Le 29 juin, elle prend la fuite et monte à bord d’un train pour aller à Fumel retrouver son époux.

Son point de chute à Fumel est un pigeonnier que sa famille doit partager avec une autre. Pas d’eau, pas de lumière, pas de gaz, le dénuement est total. Il n’y a pas moyen de trouver un logement plus décent. La surabondance de réfugiés venus du Nord et de l’Est de la France rend le moindre mètre carré inaccessible. Tout est rationné. Le carbure pour chauffer le pigeonnier et cuire les mauvais aliments ne dure que quinze jours. Ensuite, il faut brûler de l’huile de machine que ramènent les hommes.

Dès son arrivée à Fumel, Nieves reprend discrètement son activisme politique. Elle rejoint la Unión Nacional Española (UNE)[4]. Elle, comme tant d’autres Espagnols, participe aux actions de solidarité, en particulier pour envoyer des colis à ceux qui sont emprisonnés. En effet, la police est partout. Les fumélois et en particulier les « rouges », ennemis de la Révolution Nationale, sont étroitement surveillés. La gendarmerie, la police, les renseignements généraux et la gestapo se chargent de pourchasser tous les opposants, Espagnols ou Français. C’est à cette époque que naissent les tous premiers maquis lot-et-garonnais. Dans ces groupes se retrouvent² des Français et des Espagnols. Par la suite, certains maquis seront exclusivement composés d’Espagnols. 

Le seul avantage en faveur du pigeonnier est que son isolement permet d’organiser des réunions clandestines. Nieves dispose d’une machine à écrire avec laquelle elle peut préparer des articles pour le journal Mundo Obrero ainsi que des feuillets pour Reconquista de España, où bien des affiches à coller dans les rues de Fumel.

Au début du mois de novembre 1942 et à la suite des pertes subies par la Wehrmacht en URSS, les Allemands viennent à Fumel pour recruter des Espagnols afin d’aller travailler en Allemagne. Pour alerter les possibles candidats, Nieves et ses amis commencent à diffuser clandestinement des dépliants souvent rédigés sur du papier hygiénique car le papier « pelure d’oignon » est très rare. Mais une vague d’arrestations est déclenchée à partir du 7 novembre par la police judiciaire de Toulouse[5]. Nieves est arrêtée le dimanche 8 novembre. Au total, six Espagnols sont arrêtés à Fumel entre le 7 et le 10 novembre.  Ces arrestations sont consécutives à celles de vingt-trois espagnols du 6 au 10 juillet 1942 dans le Lot-et-Garonne dont sept à Fumel. Dans le cadre de ce vaste coup de filet, un peu moins de deux cents Espagnols sont détenus dans le Sud-Ouest de la France. Il leur est reproché d’appartenir à une organisation subversive en lien avec le Parti Communiste Espagnol, et identifiée sous le nom de Reconquista de España, dont le but avoué est de renverser Franco.

Nieves est interrogée dans les locaux de la mairie de Fumel. Son interrogatoire est plutôt musclé et pour la déstabiliser, elle est confrontée à un Espagnol qui vient d’être torturé. Mais elle ne lâche rien. La police détient toutes les preuves de sa participation à l’Affaire Reconquista de España, mais la jeune femme nie tout en bloc, même lorsqu’elle est malmenée devant ses filles. Les cinq policiers font preuve de sadisme lorsque devant une autre détenue, ils la déshabillent après l’avoir frappée de nombreuses fois tout en l’insultant copieusement.

Le quatrième jour, toujours dans les bureaux de la mairie, elle subit un interrogatoire « dans les règles de l’art policier » au point qu’un médecin est appelé en urgence. Ce dernier diagnostique un simple évanouissement. Au bout du compte, Nieves ne reconnait aucune participation à « l’Affaire ». Le vendredi 13 novembre, elle est transférée à Toulouse à bord d’un train bondé d’Allemands, qui viennent occuper la « Zone libre » après le débarquement anglo-américains en Afrique du Nord.

A Toulouse, elle est internée à la prison Saint-Michel en attente d’un éventuel jugement. Elle rejoint le quartier des femmes, où se trouvent les prisonnières politiques mélangées avec des droits communs. Elle participe à la demande de regroupement des politiques afin qu’elles puissent mieux s’organiser. En attendant, elle a le loisir de contempler toute la misère humaine dans ce lieu de privation de liberté… et de soins. Tombée malade, elle ne reçoit aucune assistance médicale. Malgré la tuberculose dont elle pense souffrir, le juge militaire dont elle dépend se refuse à la transférer ne serait-ce que dans une infirmerie : c’est une terroriste. Finalement, son état critique impose une hospitalisation. On diagnostique alors une lésion du poumon droit.

Au cours de son long rétablissement dans les caves très humides de l’Hôtel-Dieu de Toulouse, elle gagne la confiance de sœur Léontine qui lui confie le rôle d’aide-soignante. Elle est autorisée à pratiquer dans la salle réservée aux hommes. Cela lui donne l’occasion de renouer avec des guérilleros espagnols parmi lesquels Manuel Sánchez Esteban alias Nicolás « Carretero » Ruis. L’évasion est plus une obsession qu’un rêve pour les détenus. Carretero réussit la sienne début novembre 1943. Il a en tête l’idée de revenir avec ses camarades pour libérer les autres prisonniers politiques mais l’opération échoue et Nieves se retrouve aussitôt internée dans la zone spéciale du camp de concentration de Noé, antichambre des camps d’extermination allemands.

Evidemment, le traitement qu’elle suivait à l’Hôtel-Dieu est interrompu. Son état se détériore rapidement, au point de devoir l’envoyer à l’infirmerie du camp. Entretemps, ses camarades apprennent que son nom figure sur une liste de déportées pour l’Allemagne. Le 23 janvier 1944, malgré ses trente-huit kilos et sa lésion pulmonaire, Nieves s’évade du camp avec l’aide de détenus et de guérilleros venus des maquis pour la récupérer. Dès lors, elle rentre dans la clandestinité et sous le nom de Soledad Blasco, elle sillonne, comme agent de liaison avec les maquis FTP, la région autour de Montauban.

Les guérilleros espagnols, en collaboration étroite avec les maquis français mais aussi italiens ou autres, mènent des actions de sabotage, d’incendie de dépôts de carburant, de détournement de convois ainsi que des déraillements de trains de matériel militaire allemand.

A Toulouse, Nieves retrouve Amelia, avec qui elle a déjà travaillé à Fumel. Ensemble, à l’aide de documents administratifs volés ou fournis par des résistants de l’administration, elles fabriquent de fausses cartes d’identités, de faux sauf-conduits et de fausses cartes d’alimentation en plus du transport d’armes et de documents concernant le fonctionnement de la résistance. Pendant ce temps, la répression menée par les Allemands et ses collaborateurs français est impitoyable.

Au milieu de toutes ses missions, elle trouve le temps de revenir à Fumel pour revoir ses deux petites filles malgré le danger encouru. Elles ont été confiées à la famille avec laquelle elle partageait le pigeonnier au début de son second séjour fumélois.

Le 3 juin 1944, le tribunal de Toulouse rend son jugement concernant « l’Affaire Reconquista de España ». Nieves écope de cinq ans de prison par contumace et ses camarades, encore en prison, sont condamnés à trois ans de prison puis envoyés dans les camps de la mort en Allemagne.

En juillet 1944, partie avec Amelia, en mission dans le Gers du côté de Condom, elle se retrouve au milieu d’une attaque d’envergure de l’armée allemande. Toutes deux se cachent pendant trois semaines dans les bois sous la protection d’un maquis du Bataillon « Armagnac ».

De retour à Montauban, Nieves participe à la libération de la ville, le 19 août 1944. Après la Libération de la France, elle poursuit son combat antifranquiste, en France d’abord puis en Espagne à partir de 1967. Elle décède à Madrid en 1982.


Les condamnations
Après les interrogatoires subits à Fumel, certains détenus sont envoyés dans les prisons toulousaines de Furgole et Saint-Michel. D’autres, sans inculpation, sont « libérés » mais remis au service des étrangers et immédiatement internés aux camps du Vernet d’Ariège ou de Noé. Le processus judiciaire se poursuit jusqu’au 2 juin 1944. A cette date, ceux qui sont condamnés sont incarcérés au camp du Vernet d’Ariège. Le 3 juillet 1944, l’occupant nazi décide le transfert des détenus de Noé et du Vernet d’Ariège vers Toulouse. Partis en wagons à bestiaux de la gare Raynal de Toulouse, environ sept-cent-cinquante déportés mettent cinquante-quatre jours pour rejoindre Dachau en Allemagne. Le nom de « train fantôme » sera donné à ce convoi. Au cours de ce périple infernal, environ deux-cents prisonniers réussissent à s’évader comme Ange Alvarez lors du passage du train à Sainte-Bazeille, près de Marmande. Presque la moitié des cinq-cent-trente-six déportés arrivés à destination, le 28 août 1944, ne survivront pas.

Le calvaire de Patricio Moron Rueda dans le Train Fantôme et à Dachau

Patricio Moron Rueda est né le 29 janvier 1891 à Orihuela del Tremedal dans la province de Teruel. Il est arrêté le 8 novembre 1942 à Fumel dans le cadre de l’enquête menée par les autorités judiciaires toulousaines. Il est incarcéré dans le camp de concentration du Vernet d’Ariège qu’il quitte le 30 juin 1944, sur ordre des Allemands, en direction de Toulouse, lieu de constitution d’un convoi de déportation pour Dachau.

Le 2 juillet, il se retrouve en compagnie de prisonniers politiques venus de la prison Saint-Michel ainsi que d’autres internés du camp de Noé. Entassé dans un wagon à bestiaux, Patricio Moron quitte Toulouse le 3 juillet. Le train part en direction de la région parisienne via Bordeaux. Commence alors une longue série d’évasions de prisonniers. Le 8 juillet, le train est stoppé en gare d’Angoulême car la ligne vers Tours est complètement détruite par les bombardements alliés et les sabotages des résistants. De retour à Bordeaux, les prisonniers sont enfermés dans des locaux aussi insolites que la synagogue pour repartir le 10 août 1944 en direction de la vallée du Rhône.

Emaillé d’évasions, de marches à pied forcées et de bombardements aériens, le train termine sa tragique course le 24 août 1944 dans le camp de la mort de Dachau. Patricio Moron reçoit le matricule 94164. Le camp de Dachau est l’un des plus durs de l’empire nazi. Le travail forcé, les violences physiques extrêmes infligées par les SS, la malnutrition et l’impossibilité de recevoir des soins en cas de maladie rendent problématiques la survie de Patricio Moron, âgé de cinquante-quatre ans et déjà affaibli par son séjour au camp du Vernet d’Ariège. Il décède le 17 février 1945, un peu plus de deux mois avant la libération du camp par les Américains.


La UNE en France occupée

Fumel est un des maillons d’un vaste réseau dirigé par un certain Manuel Gonzalez, repéré à Marseille fin 1941. Manuel Gonzalez est l’alias de Jesús Monzón Repáraz, un haut responsable du PCE et le chef de la résistance espagnole en France. Son idée consiste à rassembler tous les démocrates espagnols autour d’un projet fédérateur contre le fascisme et serait en mesure de rétablir la République en Espagne.

Jesús Monzón Repáraz, au printemps 1942, crée la « Union Nacional Española » (UNE) dans une ferme des environs de Montauban. La UNE est la réunion de toutes les cellules locales espagnoles présentes en France. Le bulletin « Reconquista de España » sert alors de lien entre les diverses cellules ou comités. Cette organisation clandestine permet d’augmenter l’audience du nouveau mouvement. Toutefois, la prédominance du PCE n’est pas hégémonique. Si les autres partis ou syndicats exilés ne sont pas présents (ils ont créé une alliance parallèle), leurs adhérents le sont à titre individuel. Le succès de cette organisation incite Monzón à revenir en Espagne, en 1943, pour y reproduire clandestinement le modèle qu’il a développé en France.

Cecilio Arregui Giménez et Jesús Monzón se connaissent. Leur proximité va entraîner Arregui à revenir dans l’action politique depuis son refuge monflanquinois. Il bénéficie de la politisation d’un bon nombre de réfugiés espagnols, de la nécessité absolue de l’entraide pour affronter l’hostilité ambiante et du besoin de débattre autour de leur avenir commun. Cela favorise indéniablement l’éclosion de comités de base dans les villages, les villes, les prisons et les camps de concentration, partout où il y a des GTE et des Espagnols.

Le mouvement prend une telle ampleur qu’il constitue l’un des principaux ferments à l’origine des maquis en France. De fait, la répression des occupants allemands et de leurs collaborateurs français pousse les exilés espagnols à passer dans la clandestinité des maquis, essentiellement chez les Francs-Tireurs et Partisans Français (FTPF) communistes. Il n’est pas rare que les Espagnols soient majoritaires dans ces groupes. Dans certains cas, il y a jusqu’à soixante espagnols pour vingt-cinq Français. On trouve même des maquis composés uniquement d’Espagnols, comme le « Détachement X » de Mateo Blazquez alias « Marta » à la frontière du département des Landes. Mais, les Pyrénées sont leur terrain de prédilection, au point qu’à l’été 1944, la ville de Foix sera libérée par les Guérilléros espagnols.

Leur ardeur au combat en fait des alliés appréciés des Forces Françaises de l’Intérieur (FFI). Bénéficiant de l’expérience acquise au cours de la Guerre d’Espagne, ils servent d’instructeurs pour les recrues, de service d’ordre et de protection dans les campements et de troupes de choc lors des accrochages avec l’ennemi.

Mais tout cela restera vain, car les démocraties occidentales les trahiront une nouvelle fois lors des tentatives avortées d’invasion de l’Espagne, organisées par des unités combattantes de la UNE dans le Val d’Aran. Aucune aide ne leur sera apportée. A cette époque, les Occidentaux sont déjà entrés dans les prémices de la Guerre Froide. Franco et l’Espagne arriérée ne présentent aucun intérêt sauf le risque de voir des communistes s’installer à Madrid et se ranger du côté de Staline.



[1] Cette page a été rédigée grâce aux deux ouvrages ci-dessous :

1.       « L’Affaire Reconquista de España » - 1942-1944 - Résistance espagnole dans le Sud-Ouest, de Charles et Henri Farreny del Bosque, 250 pages - Editions d'Albret (Nérac, 47), Date de parution : 25 février 2009. Vous pouvez aussi lire, en ligne, et des mêmes auteurs : L’affaire Reconquista de España. Important épisode méconnu de la Résistance espagnole dans le Sud-Ouest.

2.       « Una vida para un ideal » de Nieves Castro Feito, Ediciones de la Torre, Espronceda 20 – Madrid – 3, 1981.

[2] Unión de Hermanos Proletarios (UHP) est créé par l'alliance syndicale signée par la Fédération Socialiste Asturienne, l'Union Générale des Travailleurs (UGT) et la Confédération Régionale du Travail des Asturies, León et Palencia de la Confédération nationale du travail (CNT), ainsi que le Bloc Obrero y Campesino et la Gauche communiste d'Espagne en février 1934, ce qui crée la Commune asturienne réprimée de manière sanglante par le pouvoir de Madrid.

 

 

[3] Ceferino Cueto Garcia est un militant de la Confederación Nacional del Trabajo (CNT). Pendant la guerre civile dans les Asturies, à la date du 1er avril 1937, il est affecté à un bataillon de transport automobile. https://buscar.combatientes.es/resultados/ceferino/cueto/garcia

[4] L'Union Nationale Espagnole (UNE) est une organisation antifranquiste créée dans les environs de Montauban en 1942, à l’initiative du Parti Communiste d'Espagne (PCE) afin de regrouper les forces politiques pour lutter contre la dictature franquiste, tout en contribuant à la lutte contre l'occupant nazi en France. Elle est dissoute en juin 1945.

 

[5] « L’Affaire Reconquista de España » - 1942-1944 - Résistance espagnole dans le Sud-Ouest, de Charles et Henri Farreny del Bosque, 250 pages - Editions d'Albret (Nérac, 47), Date de parution : 25 février 2009.


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