09-2 - Villeneuve - Centrale d'Eysses


 

Des prisonniers politiques unis dans une république clandestine

Situation des résistants dans les prisons de Vichy de 1940 à 1943

La débâcle de mai-juin 1940 n’affecte pas seulement les huit millions de civils, jetés sur les routes de France. Certaines prisons du Nord de la France étant touchées par les bombardements, des colonnes de prisonniers sont acheminées vers les centres de rétention du Sud. Jusqu’en septembre 1939, la centrale d’Eysses est une maison d’éducation surveillée. On compte à cette date environ deux cents détenus mineurs. A la suite de la débâcle générale, ce chiffre passe à sept cents. Les nouveaux arrivants sont au nombre de trois cents en provenance de la centrale de Poissy. Ce sont principalement des adultes, pour la moitié condamnés pour délit d’opinion et le reste sont des mineurs. La désorganisation carcérale se double d’une difficulté à recruter et former du personnel pour encadrer la surpopulation. A cela, il faut ajouter de nouvelles catégories de détenus jugés subversifs comme les députés communistes.

Dès le début de l’incarcération des opposants au régime de Vichy, les détenus luttent pour obtenir le statut de prisonniers politiques, plus favorable que celui des droits communs. Ils créent des organisations à l’intérieur des prisons dans le but d’améliorer leur condition de vie.  Pour ce faire, ils utilisent toutes les voies possibles offertes par la législation pénale. Ils définissent des règles de solidarité très efficaces. Apparues de manière spontanée dans certaines maisons d’arrêt départementales, elles répondent à des directives nationales émanant du Front National (communistes).

Les arrestations vont croissantes à partir de 1942. Corolairement, le nombre de résistants emprisonnés augmente significativement. Leur nombre fait souvent pencher la balance en leur faveur lorsqu’ils manifestent pour être séparés des droits communs. Quand ils obtiennent gain de cause, ils sont regroupés dans des quartiers réservés. Le principe de la séparation est majoritairement appliqué à partir de 1943 bien que l’administration préfectorale soit divisée sur ce sujet.

Trois conséquences découlent de cette séparation : pour rompre leur isolement cellulaire, ils obtiennent un temps de promenade plus long, ils peuvent organiser des activités dans des ateliers. Par voie de conséquence, ils nouent des liens entre détenus d’origine sociale, politique et géographique différente (communistes, socialistes, gaullistes, Républicains espagnols, brigadistes internationaux, chrétiens, juifs, athées…). Cette force collective leur permet de créer des comités chargés de négocier avec la direction des prisons qui accepte certaines revendications en échange de la préservation du calme. Parallèlement, ils bénéficient de l’aide substantielle de leur famille via les visites et les colis. Grâce à la complicité de gardiens sympathisants, la résistance extérieure leur fait parvenir des armes et organise les circuits d’évasion. Celle du général de Lattre de Tassigny de la prison de Riom est l’événement qui précipite la réaction de Vichy. Car la situation alarme les Allemands qui font pression pour reprendre en main les prisons françaises. D’autant que le nombre des évasions s’élève à plus de deux cents entre juin et décembre 1943. Celle de la prison du Puy concerne le nombre le plus élevé de détenus en septembre 1943 où quatre-vingts prisonniers s’enfuient avec la complicité d’un gardien.

La reprise en main de septembre 1943

L’année 1943 marque un changement dans le système concentrationnaire des prisonniers politiques. Le régime de Vichy, devenu pleinement collaborateur, transforme les prisons en un instrument de répression. La méthode retenue pour remplir cet objectif consiste à rassembler le plus grand nombre de politiques dans une même prison. A terme, cela s’avère être une erreur.

En septembre 1943, Vichy prend la décision de concentrer dans des prisons qualifiées de « maisons de concentration », les quelques trois mille six cents condamnés et prévenus pour terrorisme. Devant la difficulté de la mise en œuvre d’une telle décision, manque d’espace, manque de personnel de surveillance, la séparation des détenus est supprimée. Les politiques et les droits communs sont mélangés. La fréquence de la distribution des colis est largement réduite. Les droits de visite sont supprimés pour les terroristes, les communistes et les anarchistes.

Au tout début de 1944, Eysses, première prison politique de France

La situation géographique d’Eysses est pratiquement au centre du Sud-Ouest de la France. Les bâtiments, une ancienne abbaye bénédictine transformée en prison en 1803, peuvent être facilement défendus en cas d’attaques menées par les organisations « terroristes » fortement organisées (groupes de Résistance communistes, gaullistes, espagnoles). En outre, le régime de petites propriétés agricoles laisse à penser au pouvoir que la population est insensible aux idéologies révolutionnaires et que les risques sont minimes si l’on concentre, là, les éléments subversifs les plus dangereux. Il y a bien des ouvriers agricoles communistes mais ce ne sont pas de vrais militants, croit-on. La suite des événements va démontrer que c’est une erreur d’analyse manifeste. On peut rattacher le choix d’implanter une prison dans le monde rural à la pensée archaïque de la « Révolution Nationale » vichiste qui prétend que « seule la terre ne ment pas ». L’idée sous-jacente du choix d’Eysses est dans le fait d’expurger la société de tous les contrepouvoirs (associations, syndicats, partis politiques…). Ils sont jugés pervers parce qu’issus des concentrations urbaines, filles de la révolution industrielle.

A partir d’octobre 1943, Eysses devient la première prison de France. Elle abrite les prisonniers condamnés par les tribunaux spéciaux pour menées communistes, terroristes, anarchistes ou subversives. Sa zone de recrutement s’étend à tout le Sud de la France même si certains détenus viennent également de la zone Nord, dont cent prisonniers transférés de la Santé le 12 février 1944. Le transfert le plus massif de prisonnier a lieu entre le 15 et le 16 octobre 1943. Dans le train appelé le « Train de la Marseillaise » sont enchaînés les prisonniers récupérés dans les gares traversées et voisines d’une prison. A son bord, fusent les chants patriotiques comme la Marseillaise ou révolutionnaires comme l’Internationale.

Début février 1944, la prison détient plus de mille quatre cents personnes dont mille deux cents sont des politiques. Ils vivent dans des conditions de surpopulation évidente. Les dortoirs et les préaux surabondent de détenus. Les droits communs et les politiques sont mélangés.

Dans le flot des arrivées à Eysses, il y a quatre-vingt-cinq Républicains espagnols et immigrés économiques espagnols. Ils ont été arrêtés grâce au travail conjoint de la police française, de la Gestapo allemande et de la police secrète espagnole (les services de la Phalange extérieure opèrent en France pour tenter de neutraliser de futurs opposants au régime franquiste, après la fin de la guerre mondiale). Il faut ajouter une vingtaine de Brigadistes internationaux ayant participé à la guerre d’Espagne. Tous ces hommes avaient une activité clandestine dans les réseaux de Résistance française ou espagnole (Grupos Especiales).

Les politiques, forts de l’expérience acquise dans les périodes d’incarcération précédentes, se réorganisent et entreprennent de nouveau la lutte pour obtenir leur indépendance et le mode de fonctionnement mis en place dans leurs anciennes prisons, ce qu’ils vont obtenir.

A la fin de l’automne 1943. La section des politiques est constituée de quatre groupes. Le premier, par l’importance du nombre de détenus est celui des communistes. Il est bien structuré et solidaire. Le second groupe est celui des gaullistes, puis on trouve les Espagnols qui bénéficient de l’expérience des armes et de l’adaptation aux conditions extrêmes des camps de concentration du Sud de la France, lors de la Retirada en 1939. Enfin, il existe un groupe de diverses obédiences, très minoritaires, comme les Francs-Tireurs ou les membres du réseau Buckmaster du Special Operations Executive britannique. Les deux premiers groupes – communiste et gaulliste – forment un collectif à direction bicéphale : le communiste Henri Auzias et le gaulliste Stéphane Fuchs. Mais la prépondérance dans les prises de décision est du côté des communistes, due à l’efficacité de leur organisation. Les deux autres restent totalement indépendants même s’ils prennent part aux actions décidées conjointement.

Le succès du fonctionnement du collectif à l’intérieur de la prison d’Eysses est largement calqué sur celui des syndicats d’avant-guerre. Ce qui lui procure la force nécessaire pour introduire des entorses notables dans le règlement disciplinaire de la prison. Cet esprit perdurera après la guerre, quand les rescapés de la fusillade du 23 février 1944 et de la déportation du 30 mai 1944 crieront « Tous unis, comme à Eysses ! ». Cette union permet que les droits suivants soient tolérés :

·         Ils assurent eux-mêmes leur police ;

·         Ils présentent régulièrement des revendications ;
La fouille des dortoirs est suspendue contre l’assurance qu’ils resteront calmes et disciplinés ;

·         Les colis venant de l’extérieur sont réautorisés, ainsi que les correspondances postales et les visites ;

·         La consommation de tabac n’est pas réprimée. Les activités culturelles et artistiques sont organisées dans des ateliers qui servent à la création et à la publication clandestine des journaux « Le Patriote enchaîné » et « L’Unité » reproduits en cachette pendant la nuit et distribués à quelques exemplaires ;

·         Ils peuvent se ravitailler à l’extérieur à l’aide du pécule que leur verse l’administration et qu’ils font parvenir à des correspondants locaux grâce à des complicités (de nombreux villeneuvois participent à la fourniture de vivres, ce qui améliore considérablement l’alimentation des prisonniers affaiblis par la mauvaise qualité de l’ordinaire).

Mais la concession la plus importante est celle de pouvoir garder ouvertes les portes des dortoirs pendant la journée. Cette tolérance favorise la circulation des projets d’évasion.

La première action significative des politiques a lieu lors des Trois Glorieuses (7, 8 et 9 décembre 1943) quand ils s’opposent au transfert de détenus vers la zone Nord.

En regardant de plus près la structure du collectif, il apparaît que sa composition est de type militaire. Il s’agit d’un bataillon clandestin appelé le « bataillon d’Eysses », reconnu FFI après la Libération. Il est subdivisé en compagnies et sections. A la tête de ce bataillon, il y a un état-major commandé par le socialiste Fernand Bernard assisté par la commission militaire du Front National. Le prosélytisme du Front National est tellement actif au sein de la centrale qu’il réussit à créer une cellule clandestine composée de quinze gardiens de la centrale. Fernand Bernard est un ancien des Brigades Internationales. Il a été l’un des commandants de brigade pendant la guerre d’Espagne. Communistes et gaullistes sont mélangés dans chaque préau. L’organisation hiérarchique militaire est exactement la même dans chaque préau. Le niveau inférieur de l’organisation ne connaît pas le niveau supérieur. Un service de renseignements est chargé de s’informer sur la situation intérieure et extérieure de la prison. Sous couvert des activités des ateliers, des instructeurs dispensent des activités physiques pour préparer l’évasion. Des cours de manipulation d’armes sont aussi assurés au cours des instructions militaires. Paradoxalement, les détenus politiques expérimentent une république carcérale sans précédents, hormis ce qu’avaient développé les Républicains espagnols dans l’univers concentrationnaire des camps du Midi de la France. Les idées circulent plus facilement dans la centrale d’Eysses qu’à l’extérieur de la prison. Dans la France de Vichy chacun, s’il dispose d’un minimum de conscience politique, vit dans la suspicion de l’autre, la peur d’être dénoncé et donc il reste silencieux. A la centrale, rien de tout cela pour les politiques. A part le fait d’être retenus dans un espace fermé, la liberté d’expression est réelle. Ils organisent des universités populaires, des spectacles, des représentations théâtrales et même une fête de la jeunesse (une bonne partie des incarcérés a moins de vingt ans). Ils réussissent à se procurer du papier et de quoi écrire, matériel qu’ils détournent pour produire leurs journaux clandestins. Ils vont jusqu’à commémorer le 11 novembre, en 1943, alors que c’est interdit en France. C’est la « République d’Eysses ».

Les évasions

Le but ultime de cette organisation est de s’évader pour rejoindre, en groupes séparés, les maquis environnants afin de poursuivre le combat et la libération du territoire. C’est lui qui cimente l’union entre obédiences politiques divergentes. Pour leur part, les Espagnols adhèrent à ce but parce qu’ils ambitionnent de voir les démocraties se retourner contre Franco, une fois les Nazis éliminés.

Le 3 janvier 1944, une évasion collective est organisée par le SOE, le réseau Buckmaster et le mouvement Franc-Tireur. 54 détenus, majoritairement des politiques et quelques droits communs, parviennent à s’échapper en bénéficiant de la complicité de trois gardiens. Les fugitifs sont pris en charge par la mouvance des maquis en liaison avec les Britanniques. Par exemple, le groupe Dollé en recueille quelques-uns et les camoufle dans une ferme isolée près de Bonaguil.

Alertés par ces évènements et par un rapport du 31 décembre 1943, Vichy limoge le directeur et le remplace par Schivo, ami personnel du chef national de la Milice, Joseph Darnand.

Introduction des armes dans la centrale d’Eysses

Pour que des armes puissent entrer dans la centrale d’Eysses, des filières clandestines doivent être présentes dans les environs de la prison. La loi du 16 février 1943, promulguée par Vichy, instaure le Service du Travail Obligatoire (STO). Il s’agit d’envoyer les jeunes Français travailler en Allemagne pour remplacer les ouvriers allemands partis sur le font de l’Est où L’Allemagne subit d’importants revers infligés par les Soviétiques. De nombreux jeunes choisissent alors de « prendre le maquis », c’est-à-dire de créer ou de rejoindre des groupes clandestins. Dans le Lot-et-Garonne, ils se retrouvent dans les zones reculées des campagnes, bien souvent dans des abris de fortune comme des granges et des fermes abandonnées. Le maquis de la Torgue est l’un de ceux-là. Créé au cours de l’été 1943, il réunit quinze maquisards et est stationné à l’Est de Tonneins. Rapidement l’effectif passe à près de quarante. Parmi eux, il y a des Républicains espagnols comme Mateo Blazquez et Jaime Olivés. Leurs principales activités sont la récupération d’armes, la formation militaire et le sabotage des intérêts des collaborateurs français et des occupants nazis.


Le maquis réussit à constituer un stock d’armes prélevées sur des parachutages alliés. Il est composé d’une quinzaine de mitraillettes Sten et d’une soixantaine de grenades défensives. Il est introduit dans la centrale dissimulé dans un camion chargé de bois et remis aux prisonniers dans le double fond de caisses de biscuits.

Témoignage du Républicain espagnol, Mateo Blazquez, alias « Marta » :
« D'autres transports d'armes ont été effectués de ce même endroit à notre cantonnement de « La Moncaudette » où je fus désigné avec un autre camarade pour les mettre en état de fonctionnement. Que je me souvienne, nous avions transporté deux ou trois containers des parachutages où il y avait en particulier deux fusils mitrailleurs, un nombre assez important de mitraillettes et de grenades défensives. […]  Ce précieux arsenal, nous devions le partager avec nos camarades emprisonnés de la Centrale d'Eysses, mais les attentats contre le chef de la Milice de Tonneins, Audevez, la capture en plein jour à Clairac d'un indicateur de la police de Vichy et de la Gestapo ; l'affrontement aux environs de la ferme de Guillaume Le Goff avec un de nos groupes, alors que celui-ci allait chercher du ravitaillement ; cet intense mouvement inhabituel dans la Vallée de la Torgue et les coteaux de Grateloup et de la « Moncaudette », avaient alerté les forces de répression vichystes et les
allemands. […]  Nous étions dans la première dizaine de janvier 1944 ; la nuit de la Saint-Sylvestre, nous l'avions passée, tous les maquisards réunis, dans la grange de Perry, à Saint-Gayrand, dans une immense joie, fraternisant avec bon nombre de nos camarades agriculteurs qui nous avaient préparé, malgré les restrictions du moment, un succulent repas de fin d'année. Cette nuit de chants et de fraternité nous avait fait oublier pour un moment la triste réalité dans laquelle nous vivions, car une dizaine de jours plus tard dans un affrontement avec les miliciens de Tonneins, fut blessé, notre jeune camarade « Lulu le Parisien » Chambon, qui, sous la torture révéla l'endroit où se trouvait le détachement FTPF de la « Moncaudette ». Ceci eût pour conséquence l'arrestation des huit patriotes précédemment cités, la perte de notre précieux arsenal et notre repli
précipité au sud de la Garonne
. »


Témoignage d’un membre du maquis de la Torgue :

« […] Pour le transport de ces armes avec notre vieux gazogène, de ia région de Bouglon aux environs de la centrale d’Eysses, il y avait « Jeannot », Guy Beau, Jean Gros, Jacques Laurin, « Marta » et Laverny. Pour parcourir les quelques soixante-dix kilomètres qui séparent les lieux indiqués, il a fallu passer toute une longue nuit sous la pluie battante, empruntant un itinéraire, nous mettant à l'abri d'éventuels contrôles des forces de répression françaises ou des patrouilles allemandes. Arrivés au lieu de rendez-vous, aux environs de Villeneuve-sur-Lot, nous avons déchargé la précieuse marchandise de notre gazogène et rechargé sur la camionnette d’un camarade de « Jeannot », menuisier à Villeneuve-sur-Lot qui effectuait des travaux à l'intérieur de la centrale. C'est lui qui introduisait des armes avec son chargement de bois. […] »

 La tentative d’évasion du 19 février 1944

Fernand Bernard imagine un plan pour que les 1 200 prisonniers politiques s’évanouissent dans la nature pour rejoindre les maquis du Nord du Lot-et-Garonne. Le premier objectif à atteindre est la prise de contrôle de la prison. Pour ce faire, il faut que l’occasion soit propice pour que les détenus neutralisent les gardes, les dépouillent de leurs uniformes et les revêtissent tout en récupérant l’armement. Après la neutralisation des GMR, il s’agit de franchir la grande porte pour partir vers la liberté. Quand le collectif présente le projet aux Espagnols, ces derniers font remarquer qu’il comporte certaines faiblesses, mais ils décident malgré tout de prendre leur part dès que l’opération sera déclenchée.

L’occasion se présente le 19 février 1944. Ce jour-là, la prison fait l’objet d’une visite d’un inspecteur général des prisons. La direction veut lui faire visiter les installations pénitentiaires. Fernand Bernard, prévenu par les gardes noyautés par les communistes, déclenche l’exécution du plan d’évasion. A peine les visiteurs sont entrés dans le chauffoir du préau n° 1 qu’ils sont assaillis par les détenus présents et se retrouvent ligotés et en caleçons. Les otages sont placés dans la chapelle. Certains détenus revêtent les uniformes dérobés. Les armes sont sorties des cachettes. Le quartier des politiques est maintenant sous contrôle. Il faut alors atteindre une porte que peuvent franchir des véhicules, près de laquelle se trouve un mirador.

Malheureusement, au même moment, un droit commun de retour de corvée avec des gardiens remarque qu’il ne connaît pas le garde qui se trouve près de la chapelle. L’alarme est donnée par les gardes qui se réfugient dans le bâtiment administratif. Les insurgés pénètrent dans les locaux, neutralisent les gardes et récupèrent les armes de service.

Pendant ce temps, un capitaine de garde arrive dans le couloir qui dessert les bureaux où se trouvent les insurgés. A l’aide de sa mitraillette, il ouvre le feu, interdisant la sortie des insurgés. Alertés, les gardes encore libres occupent tous les bâtiments autour de la cour d’honneur et ouvrent le feu sur tout ce qui bouge. Fernand Bernard est blessé. Un combat inégal s’ensuit, de dix-sept heures à minuit. Au fil des heures, la possibilité de réussir s’amenuise malgré la combattivité et la vaillance des insurgés. Les Espagnols, sous le commandement de Félix Llanos, attaquent le mirador Nord-Ouest.  Depuis les fenêtres de l’infirmerie, ils lancent des grenades en direction de la tour de garde. Au péril de leur vie, ils renvoient les grenades non explosées. Avec la rage du désespoir, ils tentent d’ouvrir une brèche dans le mur d’enceinte à l’aide de pics et de béliers. L’idée leur vient de vouloir creuser un tunnel. Mais les charges des GMR sont implacables. Devant la violence de la riposte des gardes, le collectif français demande aux Espagnols de renoncer. Ils refusent et Jaume Seró est blessé. Gravement atteint, il perd beaucoup de sang. L’attaque des GMR étant trop dure, les Espagnols abandonnent le combat.

Pendant que Schivo et les gardes à demi nus restent sous la garde des insurgés, les Allemands, alertés par la femme de Schivo, arrivent en renfort depuis Agen. Ils prennent place à l’extérieur de la prison en positionnant de l’artillerie. Des tentatives de négociation avec la préfecture échouent. Les Allemands lancent un ultimatum exigeant la reddition des insurgés sous peine de bombarder la prison dans le quart d’heure qui suit. Schivo donne sa parole que si les armes sont déposées et les otages libérés, il n’y aura pas de représailles. Le marché est accepté. Il est quatre heures du matin. Du côté des insurgés, il y a deux morts et de nombreux blessés. Le lendemain, Darnand arrive de Vichy pour mener l’enquête et diriger les interrogatoires. Au bout de deux jours, il ne parvient pas à démasquer les responsables. Il repart pour Vichy en réclamant cinquante têtes. Sur seize prisonniers seuls douze sont reconnus coupables. Aux blessés, dont leur état ne peut pas faire douter de leur culpabilité, viennent s’ajouter ceux qui sont dénoncés par les gardes et un dernier trahi par l’un des prisonniers. Pascual Azagra Ansado, blessé lui aussi, échappe à la mort grâce à une erreur commise par un gardien.

Le 23 février 1944, à quatre heures du matin, un tribunal militaire se réunit à huis clos et sans avoir droit à aucune défense, les douze prisonniers sont condamnés à mort. A dix heures du matin, ils sont fusillés dans la cour d’épandage du linge de la prison. Face au peloton d’exécution composé de GMR français, ils refusent qu’on leur bande les yeux. Ils entonnent La Marseillaise et Le Chant du départ. Depuis les dortoirs, leurs camarades d’infortune reprennent les chants patriotiques. Le lendemain de leur exécution et malgré l’interdiction, des Villeneuvois fleurissent les tombes où ils reposent au cimetière Sainte Catherine de Villeneuve-sur-Lot.

IN MEMORIAM1.      

1. Henri Auzias, né le 9 avril 1912 à Villevieille (Basses-Alpes, Alpes-de-Haute-Provence), dénoncé pour avoir brandi un pistolet et utilisé le téléphone pour demander des instructions ;

2. Fernand Bernard, né le 10 juin 1906 à Perpignan (Pyrénées-Orientales), dénoncé comme l’instigateur de la rébellion parce qu’il donnait des ordres au cours de l’insurrection ; 

3. Roger Brun, né le 31 août 1922 à Peschadoires (Puy de Dôme) ; dénoncé pour avoir porté une arme ;

4.  Jean Chauvet, né le 11 septembre 1921 à Nîmes (Gard), dénoncé pour port d’arme ;

5. Louis Guiral, né le 8 février 1908 à Mondragon (Tarn), pour avoir endommagé le toit de la blanchisserie et avoir lancé des grenades contre la tour de garde ;

6. Alexandre Marqui, né le 8 juin 1914 à Lourdes (Hautes-Pyrénées), blessé ;

7. Gabriel Pelouze, né le 8 janvier 1910 à Carcassonne (Aude), dénoncé par un prisonnier pour avoir ordonné l’attaque de la tour de garde ;

8. Félicien (Émile) Sarvisse, né le 9 juin 1922 à Ouveillan (Aude), blessé ;

9.  Jaime Seró-Bernat, né le 10 novembre1920 à Lérida (Espagne), blessé ;

10. Domènec Servetó Bertran, né le 6 août 1903 à Terrassa (Espagne), blessé par une grenade ;

11. Joseph Stern, né le 19 avril 1916 à Chisinau (Bessarabie), dénoncé pour avoir utilisé un fusil mitrailleur ;

12. Jean Vigne, né le 19 mars 1912 à Boisset-Gaujac (Gard), dénoncé pour avoir ordonné l’attaque de la tour de garde.

Les dix fusillés français seront reconnus « Morts pour la France » à la Libération, alors que les deux Espagnols ne le seront que soixante-cinq ans plus tard, soit en 2010.

Jaume Seró Bernat

Jaume Seró Bernat est né le 10 novembre 1921 (ou 1920 selon les sources) à l’Albagés (Lérida – Espagne). Militant des Jeunesses libertaires, il intègre le corps des Carabiniers pendant la guerre civile espagnole. En compagnie de son père, il arrive en France avec la Retirada. Séparés dans les camps de concentration du Roussillon, ils se retrouvent près de Narbonne. Réfugié en Normandie, il travaille dans une ferme aux Authiers dans l’Eure puis aux usine Pfaff de Beaumont-le-Roger jusqu’en novembre 1942. Durant cette période, il participe à des actes de résistance avec des communistes normands. En octobre 1942, il adhère au Parti Socialiste Unitaire de Catalogne (PSUC). Après la rafle du 30 novembre 1942 qui décapite la Direction espagnole de la zone Occupée, Jaume Seró s'installe à Paris où il réorganise des groupes espagnols, rédige des tracts et sert d'instructeur militaire à des résistants français.

Il est arrêté en avril 1943 à la station de métro La Motte-Picquet-Grenelle en possession de nombreux documents de propagande. Il est jugé et condamné à deux ans de prison par la section spéciale de la cour d'appel de Paris, tribunal d'exception mis en place par Vichy pour lutter contre la Résistance. Incarcéré à la prison de la Santé, il est transféré à la centrale d'Eysses le 18 décembre 1943. Lors de la tentative d'évasion du 19 février 1944, il participe au combat dans un groupe de choc qui tente de capturer le commandant de la garde. Grièvement blessé au cours de ce combat, il est condamné à mort par la cour martiale et fusillé le 23 février.

Lettre du pasteur André Feral

« André Feral

Pasteur à Castelmoron-sur-Lot

Lot-et-Garonne

 

A Mme Gisèle Leroy

7 rue Montalembert Paris VII

 

Chère madame,

 

J’ai une bien tragique nouvelle à vous annoncer et mon cœur se serre en songeant à votre peine. Pasteur à Castelmoron, je suis aumônier de la prison centrale d’Eysses où James Seró a été transféré. On est venu me chercher hier matin mercredi 23 février réclamant mon ministère. Je ne comprenais pas. A mon arrivée à la centrale, on m’a dit qu’une émeute à main armée avait éclaté et qu’à cette heure, un certain nombre de détenus étaient jugés par une cour martiale. Onze d’entre eux ont été jugés coupables et condamnés et parmi eux, hélas, était James Seró. Nul des condamnés n’appartenait à la religion protestante. Plusieurs m’ont demandé cependant le service (hélas cruel) de prévenir leur famille.

 

J’ai assisté à leur dernier moment et cette horrible vision me remplira jusqu’à la fin de tristesse. Tous les condamnés sont morts avec un grand courage. Votre ami m’a prié de vous dire que son souvenir et sa dernière pensée étaient pour vous et pour sa chère fillette. Je vous transmets ce message avec une grande émotion et une infinie tristesse et je demande à Dieu en même temps que sa miséricorde infinie pour celui qui est parti, je lui demande l’apaisement de votre âme meurtrie.

 

Veuillez agréer madame, ma bien respectueuse sympathie.

 

A Feral »

Domènec Servetó Bertran

Domènec Servetó Bertran est né le 6 août 1903 à Terrassa (Espagne). Comptable, il adhère à l’UGT et au PSUC. Pendant la guerre civile espagnole, Il effectue des missions secrètes. Resté clandestin en Catalogne après la victoire des troupes franquistes, il doit brusquement se réfugier en France en 1940 où il est immédiatement interné dans différents camps avec d'autres républicains espagnols. Au camp de Septfonds, il fonde une cellule du Parti communiste espagnol. Avec ses compagnons, il profite des corvées à l’extérieur du camp pour distribuer des tracts et commettre des sabotages.

Dénoncé, il est arrêté le 7 juillet 1941 puis il est condamné à six ans de travaux forcés, par le tribunal militaire de Montauban, le 6 février 1942, pour détention et distribution de tracts d'origine étrangère et activité communiste. Transféré à Eysses le 15 octobre 1943, blessé par un éclat de grenade le 19 février 1944, il est fusillé le 23 février.

 

LISTE DES REPUBLICAINS ESPAGNOLS INTERNES A EYSSES (source Fabien Garrido)

 

NOM

PRENOM

DATE DE NAISSANCE

LIEU DE NAISSANCE

ALEGRIA

Guillermo

03/07/1901

Varacas

ALVAREZ

Amador

20/12/1920

Sama

ARBOS

José

00/00/1896

España

AZAGRA ANSADO

Pascual

16/10/1908


BALLESTER

Jaime

03/09/1919

Ampola

BARRIO alias DIAZ Ricardo

Joaquín


Oviedo

BERENGUER

Alfonso

00/00/1916


BLASQUEZ

Bernardo

20/08/1908


BONET

Manuel

12/10/1907

Gijou

BUJ-FERRER

Ramón

25/09/1921

Barcelona

BUSCART

Miguel

00/00/1911


CABALLERO

Manuel

00/00/1913

Sona Messia

CAMARASA

Martin

00/00/1911

Aragón

CANADELL

Luis

06/05/1917

Barcelona

CANADELL

Castro

00/00/1922

Barcelona

CANET

Joaquín

20/03/1922

Gerona

CANET

Modesto

02/02/1907

Gerona

CAPELLA

José

01/04/1912

Amatela de Mar

CARDONA

José

1 9/03/1911

Valencia

CERRADA

Pedro

22/02/1903

España

COMABELLA

José

12/10/1908

Pons

DEL RIO

Florentin

20/03/1914

España

DIAZ GIMENEZ

Celso

28/07/1906

Ávila

FAMADA FACUNDO

Pascual

17/10/1917

Losses

FONTBONA

José

01/11/1913

Sotroudio

FRAILE

Jesús

22/09/1913

Kilarredonde

GARCIA FERNANDEZ

Morida

15/05/1915

Morida

GARCIA MELENDEZ

Antonio

25/04/1913

Murcia

GARRIDO VIDAL

Ramón

24/05/1915

El Grove

GARRIGUE

Etienne

27/02/1907

Palau del Vidre

GIL SANCHO

José

00/00/1915


GIMENEZ RUPERTO

Julián

17/08/1916

Madrid

GISBERT

Baldovi

27/09/1905

Valencia

GOMEZ

Víctor

12/10/1918

Aznebar

GONZALES TRAVANO

Felipe

17/08/1916

Ciranes

GRANADOS

Eugenio

15/11/1918

Pescueza

GUARDIA

Hernández

05/11/1905

Picasente Valencia

GUILLEN AGUERRA


07/05/1898

Santonera

HERNANDEZ

Alfonso

16/02/1921

Agallans

HUERGA FIERO

Ángel

06/08/1903

Madrid

IGLESIAS

Ignacio

06/09/1912

Sama

JAVIER


00/00/1888


LASO

Vicente

15/09/1910

Madrid

LATORRE

Domingo

17/01/1906

Algesiras

LINARES

Juan

08/02/1910

Albanchez Almería

LLANOS ALONSO

Félix

29/03/1913

Cienfuegos

LOPEZ

Bautista

09/05/1909

Villa del Campo

LOPEZ DEL MORAL

Francisco

00/00/1911


LORIZ

Laurent

05/09/1920

Bonsano

MARBA PLANAS

Julio

10/12/1902

Barcelona

MARTIN NUNEZ

Juan

21/05/1915

Madrid

MARTIN

Alfonso

00/00/1917


MARTIN CARRO

Pedro

00/00/1903


MARTINEZ

Gaston

00/00/1903

España

MARTORELL

Juan Luis

01/04/1918

Barcelona

MERCADER

Juan

00/00/1905

España

MURCIA

José

25/05/1900

San Javier

PAGES

Pedro

00/00/1892

España

PALOMO ROJAS

Evariste

00/04/1906

Almorester

PARRA

Romeo

09/07/1902

Grasalemo Grasola

PEREZ

José

23/07/1884

Madrid

PEREZ REVILA

José Antonio

31/03/1907

Madrid

PONS

Amadeo

25/03/1903

Barjas Blancas

PORTOLES

Miguel

05/01/1902

Liria Valencia

RASO

Enrique

16/07/1919

Toledo

RIPOLL SERRA

Juan

00/00/1889

España

RODES

Bley

15/06/1895

Lérida

RODRIGUEZ

Antonio

07/02/1908

Oviedo

RODRIGUEZ

Stanislas

13/11/1899

Viblamiel

SABATE

Michel

27/08/1912

Moulins

SALAS

Pablo

29/06/1905

Toledo

SALAZAR alias LABORDA

Raphael


Buenos Aires

SANCHEZ

Alberto

06/05/1924

Aviles

SANCHEZ

Isidore

14/12/1909

Madronera

SANTOS MANZANARES


02/07/1914

Madrid

SERÓ BERNAT

Jaume

10/11/1920 ou 1921

Lérida

SERVETÓ BERTRAN

Domenec

06/08/1903

Terrassa

SOLANO ALONSO

Wilebaldo

07/07/1916

Burgos

TERRIZA

Víctor

29/10/1910

Madrid

TORRES

Enrique

20/07/1920

Valdera

TORRES

Miguel

26/10/1921

Candette

TURIEL

Juan Antonio

02/05/1913

Micereces de Terra Realville

TURON

José

17/03/1912

Leseras

VILA SALO

Casimir

00/00/1892


ZAYUELAS

César

28/12/1921

Barcelona

 

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